En décembre 2014, le Programme d’activisme des jeunes féministes de l’AWID (YFA) lançait sa campagne #JeMengage visant à brasser les idées, échanger et en apprendre davantage sur la façon de susciter une organisation multigénérationnelle efficace. Nous nous penchons cette semaine sur quelques-unes des réponses à la conversation.
Par Susan Tolmay
L’organisation multigénérationelle a été un sujet de discussion continu au sein du programme de l’YFA depuis plus de cinq ans. De 2008 à 2013, les débats intergénérationnels, les webinaires et les discussions en ligne organisés ont montré que, s’il est important de dialoguer, l’apprentissage provient en grande partie “des récits que nous livrent les activistes concernant la construction, le travail et la mobilisation communes autour d’actions concrètes, ainsi que des résultats de ces actions que nous percevons comme des outils, des initiatives et des contributions de taille pour les mouvements de femmes et de justice sociale”, selon la Coordinatrice de l’YFA, Gadheer Malek.
#JeMengage est une campagne créée par l’YFA qui propose, par le biais de son hashtag, une façon alternative d’aborder l’activisme multigénérationnel fondée sur l’expérience personnelle, et visant à identifier où, quand et dans quelles conditions l’organisation multigénérationnelle se révèle efficace. L’idée était d’explorer les engagements que les activistes étaient à même de prendre à un niveau personnel et collectif afin de s’organiser entre générations.
Les publications sur le blog et sur twitter se sont avérées à la fois personnelles et analytiques, révélatrices des dynamiques, des rapports et des processus cachés que l’on retrouve à l’œuvre dans l’organisation multigénérationnelle. Nous sommes tou-te-s d’accord pour dire qu’une organisation multigénérationnelle efficace est essentielle à la construction de mouvements solides et véritablement intersectoriels. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Et comment cela fonctionne-t-il concrètement?
Dans Activisme sur les ondes: le collectif Feminist Magazine, Cherise Charleswell fait part de son expérience au sein du collectif multigénérationnel Feminist Magazine dont elle a fait partie, et des leçons qu’elle en a tirées. Elle souligne l’importance d’accorder la même validité et le même poids aux opinions de chacun-e, indépendamment de l’âge. Elle fait par ailleurs valoir un argument important au sujet de la diversité des connaissances comme de l’apprentissage mutuel et le partage des connaissances, parce que “…personne n’est considérée comme l’expert-e en la matière, celles-ceux détenant toutes les réponses”; son expérience a démontré que l’organisation multigénérationnelle allie la variété des expériences, l’expertise et les compétences disponibles - les jeunes membres seront par exemple peut-être plus pointues en ce qui concerne la technologie et bouillonnant-e-s d’idées nouvelles, tandis que les membres plus âgé-e-s disposent de vastes réseaux dans lesquels puiser, et se basent sur leurs expériences passées comme sur le contexte historique. Elle a appris que l’organisation multigénérationnelle assure la diversité et l’inclusion, “et encore une fois, cette diversité et la capacité à rester global sont une caractéristique du Féminisme; tout comme d’une manière générale, l’organisation de mouvements sociaux”.
Srilatha Batliwala revient sur quatre décennies d’organisation multigénérationnelle dans L'Âge et l'activisme: quelques réflexions sur mon expérience. La richesse de son expérience prouve que l’organisation multigénérationnelle est une réalité qui peut être vécue. Elle y raconte ses débuts et parle de la jeune chercheuse en politique de la santé qu’elle était, à qui on accordait alors une grande liberté et autonomie pour faire son travail et prendre des décisions, et du rôle important que cela a joué dans la construction de sa confiance. Son activisme débutant lui a beaucoup appris sur son propre conditionnement, et lorsque sa conscience de l’âge s’est modifiée, elle a compris qu’il était crucial d’être à l’écoute, et que l’âge avait très peu à voir avec la compréhension et le savoir des gens - que certaines personnes plus jeunes, plus pauvres, et moins éduquées avait une expérience plus riche, une meilleure compréhension et une sagesse plus grande que les siennes et que celles de certaines de ses enseignantes ou collègues plus âgées. Batliwala souligne que son “objectif avait toujours été de relier la passion que chacune vouait à la cause, à notre mission, en identifiant les capacités de base de chaque personne” avant d’ajouter : “Sans cesse, il m’apparaissait clairement que la capacité des gens à tenir leurs promesses, à briller, à innover, à être hautement responsable et redevable, éclairé, brillant, techniquement ingénieux, avait rarement à voir avec leur âge.” Et après avoir passé de nombreuses années à des postes de prises de décision de premier plan au sein de diverses organisations, elle nous livre une seconde fois son expérience, et raconte comment elle a appris à transcender la hiérarchie fondée sur l’âge, ce qui lui a permis de prendre un peu de distance et d’apporter son soutien plutôt que de diriger: “Cela m’a aidé à découvrir la signification et la joie d’être la grand-mère, au sein du mouvement aussi - à ne pas prendre les rênes, mais à soutenir les autres en arrière-plan, et à profiter de l’affection et du respect que me valent mon expérience et mes idées.”
Dans Lettre ouverte aux féministes de ma vie: mères, grand-mères et sœurs, Mariam Gagoshashvili nous livre comment elle a vécu la complexité et la croissance du mouvement Georgian Women’s, l’organisation informelle versusl’organisation institutionnalisée. Elle insiste sur le travail de nos aïeules et de “Nos mères féministes – une génération perdue”; car l’interdiction, imposée par le régime soviétique, de tout forme d’activisme civique a valu à “leur contribution collective à la perpétuation du travail des activistes féministes du 19ème siècle d’être souvent passée sous silence ou ignorée”. Elle considère cela comme une grande perte pour le mouvement, car le type de mouvement qu’elle voudrait voir exister est un mouvement qui reconnait ses prédécesseur-e-s, celles et ceux qui ont jeté les bases, créé les liens, et permis à cet aujourd’hui d’exister. … “Je souhaite un mouvement qui puise sa force dans la diversité de ses acteurs et actrices, de ses stratégies et de ses expériences.” Elle parle de l’importance de l’apprentissage mutuel et du partage des connaissances, et raconte comment elle a appliqué ces derniers dans la pratique avec sa mère féministe. “Je l’ai introduite à la théorie féministe, elle m’a montré comment la traduire en actions féministes. Dans cette relation symbiotique, nous nous sommes élevées l’une l’autre en tant que féministes. Nous sommes devenues simultanément nos propres mères, filles et sœurs féministes.”
Claudia Bollwinkel raconte l’expérience de Filia.die Frauenstiftung (un fonds pour les femmes basé en Allemagne), qui a fait participer de jeunes femmes aux prises de décision concernant le financement de projets pour filles, dans Apprendre avec le conseil consultatif des jeunes filles . Si l’inclusion des 11 jeunes femmes âgées de 14 à 24 ans au premier Conseil consultatif des jeunes filles a globalement été stimulante pour toutes, elle ne s’est pas faite sans difficultés. L’une des leçons essentielles a été pour elle de comprendre son propre âgisme, de se rendre compte qu’elle tenait son pouvoir pour acquis et qu’il était important de bâtir des rapports de confiance ainsi que de garantir un espace d’apprentissage mutuel et de participation effective. La communication est essentielle: le fait d’être entendue, prise en considération et habilitée à prendre des décisions.
Dans Le coeur et l'âme de l'organisation multigénérationnelle: Dialoguer grâce aux archives , Maissan Hassan fait part de son expérience au sein de la Coalition des organisations féministes en Égypte - une coalition de plus de 15 ONG et groupes de femmes égyptiens. Elle raconte: “C’était une période difficile pour l’organisation mutligénérationnelle. La jeunesse était idolâtrée dans les médias, tandis qu’on imputait à l’ancienne génération toutes les erreurs du régime en décrépitude.” Bien qu’elle évoque quelques difficultés inhérentes au processus, les personnes y participant s’étaient engagées à dialoguer entre générations. Elle signale qu’il est important que les jeunes femmes assurent des rôles de leaders dans les médias, au cours d’audiences officielles et dans les espaces internationaux. Mais son rôle au sein du Groupe de travail sur les Femmes et la Constitution, destiné à s’assurer que les revendications féministes et liées aux questions de genre soient incluses dans la nouvelle constitution égyptienne, l’a conduite aux archives, où foisonnent l’information et les connaissances. Elle y découvre que « les archives des femmes peuvent ouvrir de nouveaux horizons aux féministes contemporaines, aux jeunes comme aux plus âgées. Les archives des femmes ne font pas que narrer des réussites. Elles nous révèlent aussi, et c’est encore plus important, de quelles façons les anciennes féministes résistaient. Un dialogue multigénérationnel ne se limite pas aux salles de réunions, aux forums internationaux, aux activités communautaires et aux discussions en ligne. Être membre des archives et de la bibliothèque des femmes pendant près de 8 ans m’a appris que le fait de documenter les archives personnelles de femmes, de recueillir leurs histoires orales et de conserver les écrits d’autres féministes constitue le cœur et l’âme du dialogue multigénérationnel. »
Les discussions autour de la campagne #JeMengage montrent qu’il n’y a pas de réponses rapides ni de solutions toutes prêtes pour une organisation multigénérationnelle efficace, mais que les principes d’apprentissage mutuel, de confiance et de respect en font tous partie intégrante. Enfin, l’organisation multigénérationnelle est non seulement un impératif idéologique, mais elle contribue aussi de façon cruciale à accroître la légitimité et à construire des mouvements véritablement intersectoriels.
Les expériences autour de la question de l’organisation multigénérationnelle étant infinies et multiformes, le programme Activisme des jeunes féministes de l’AWID souhaiterait poursuivre les discussions sur le sujet. Merci d’adresser les réflexions, les suggestions et/ou les histoires sur le thème de l’organisation multigénérationnelle que vous aimeriez partager par courrier électronique à l’adresse yfa@awid.org.
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