Dans le cadre de la journée globale d’action des femmes pour la justice climatique, célébrée en ce 29 septembre 2015, l’AWID s’est entretenue avec Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’Association des Femmes Peules Autochtones du Tchad (AFPAT) et membre du Comité de coordination de l'appel Mondial des Femmes pour la Justice Climatique, pour en savoir davantage sur cette campagne internationale ainsi que sur les enjeux de la mobilisation en faveur des droits des femmes, et notamment des droits femmes autochtones à la justice climatique, en vue de la proche 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21).
Par Mégane Ghorbani
Du 30 au 11 décembre prochain, la France accueillera et présidera la 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21). « C’est une échéance cruciale, puisqu’elle doit aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C. », lit-on sur le site du gouvernement français dédié à la COP 21. Un texte officiel de négociation sur lequel sont basées les négociations de fonds a été produit en février 2015 dans le cadre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). D’autres sessions ont été organisées à Bonn, en Allemagne, en vue de la signature d’un accord à Paris en décembre prochain.
Dans ce contexte, des organisations de la société civile se mobilisent en faveur de la justice climatique. L’appel Mondial des Femmes pour la Justice Climatique, une campagne internationale lancée en juin dernier par un comité informel de coordination, cherche à encourager l’action de groupes de femmes, d’initiatives féministes et d’organisations alliées à travers le monde entier, tout en coordonnant certaines actions en vue de la COP 21. Un appel à soutenir cette campagne a été publié le 14 juillet 2015.
AWID : Qui a initié l’appel Mondial des Femmes pour la Justice Climatique et pourquoi ?
Hindou Oumarou Ibrahim (HOI) : Parallèlement à une réunion des membres de la CCNUCC qui s’est tenue en juin dernier à Bonn, en Allemagne, des organisations de femmes se sont réunies pour discuter des questions liées aux femmes et à la justice climatique. On a notamment constaté que ces questions étaient négligées et relayées au second plan dans le processus qui mène à la COP 21. Les organisations qui coordonnent cette campagne sont des associations et des mouvements de femmes et d’autres organisations membres et actives à travers le monde, ainsi que des personnalités militantes qui savent comment faire avancer la cause des femmes dans ce cadre.
AWID : Pourquoi les enjeux climatiques sont-ils particulièrement importants pour les communautés de femmes autochtones ? Comment leurs problématiques sont-elles prises en compte ?
HOI : Les communautés autochtones sont celles qui sont le plus impactées par le changement climatique en raison de leur mode de vie qui est directement rattaché à la nature et à l’environnement. Les femmes autochtones sont celles qui doivent aller chercher la nourriture pour la communauté, exercer la médecine traditionnelle ou encore d’autres pratiques de soins. Donc lorsque le changement climatique s’accélère et que les terres deviennent moins fertiles, les femmes ont des difficultés à trouver de la nourriture là où elles en trouvaient auparavant, et elles sont obligées de doubler leurs efforts en ce sens, soit en augmentant leur distance de parcours, soit en s’adaptant à d’autres manières de prendre soin de leur famille. De plus, dans les communautés autochtones, les hommes sont plus libres et le fait de devoir partir plus loin n’est pas autant dérangeant pour eux que pour les femmes, qui doivent rester plus près des enfants et des personnes âgées pour s’en occuper. Les femmes autochtones sont pourtant mises à l’écart de toutes les décisions qu’on prend au niveau international au sujet de l’environnement.
Notre coalition cherche à donner plus de voix à toutes ces femmes marginalisées et mises à l’écart des négociations. Nous ne nous limitons pas seulement à des actions au niveau international. Des actions nationales, locales et régionales sont aussi entreprises pour prendre en compte les droits de toutes ces femmes. Plus particulièrement, nous nous attaquons à la question de la transition énergétique, car la question de l’adaptation et de la justice climatique pour ces femmes autochtones est essentielle. Comment s’assurer alors que la solidarité internationale permette une adaptation où l’équité soit présente pour toutes ces femmes ? Au niveau international, nous voulons nous assurer que les pays ne dépassent pas 1.5°C de réchauffement climatique, avec notamment la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et que les pays passent à une transition d’énergies renouvelables pour que ces femmes ne soient pas impactées et que les droits de toutes ces femmes soient respectés.
AWID : Quels sont les éléments clés de l’appel Mondial des Femmes pour la Justice Climatique et quels en sont ses objectifs ?
HOI : L’objectif principal est d’assurer l’attention de toute la communauté internationale sur la question des femmes et de la justice climatique à travers plusieurs sujets[1], dont le changement de système, l’égalité des sexes, les droits humains, l’exploitation des combustibles fossiles, les énergies renouvelables et l’intégration des changements climatiques dans tous les projets de développement à travers la solidarité internationale. L’appel mentionne aussi des thèmes mensuels de mobilisation, avec par exemple l’énergie, l’économie, les solutions ou la survie. Nous avons choisi le thème du pouvoir pour le mois de novembre pour réfléchir à comment les femmes du monde entier feront face aux pouvoirs politiques qui ne les prennent pas en compte dans les négociations sur le climat.
AWID : Quels types de mobilisation sont envisagés durant cette campagne et en quoi sont-elles complémentaires des autres activités de mobilisations citoyennes organisées jusqu’en décembre 2015 à travers le monde, et notamment à Paris ?
HOI : Il y aura des mobilisations globales que tout le monde pourra faire ensemble mais aussi des mobilisations régionales ou par groupe thématique. Pour les populations autochtones, nous allons par exemple faire une consultation régionale en Arctique, en Asie, en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, en Europe de l’Est et dans le Pacifique, pour voir la place des femmes et des jeunes autochtones dans toutes ces problématiques. Il y a également une mobilisation globale d’artistes autour des différents éléments de la campagne, notamment pour des affiches, des poèmes et des chansons. Chaque groupe thématique coordonne chaque type de mobilisation.
En plus des mobilisations dans le cadre de notre campagne, nous prenons part aux mobilisations plus générales de la société civile pour la justice climatique car la plupart de nos organisations font aussi parties de cette dynamique plus large de mobilisation. Beaucoup d’entre nous font par exemple partie de la Coalition Climat 21 et participent aux réunions préparatoires qui s’organisent au sujet de la coordination des mobilisations. Au niveau du plaidoyer international de la société civile pour l’intégration du genre lors des négociations sur le climat, cela se coordonne plutôt au niveau de l’un des neufs groupes des parties prenantes de la CCNUCC, le groupe Femmes et Genre, en complémentarité évidente avec les mobilisations citoyennes autour du changement climatique.
AWID : Les médias internationaux donnent l’impression que les enjeux climatiques ne mobilisent que la société civile des pays du Nord. Que pensez-vous de cela?
HOI : Je pense que ce sont des médias qui ne connaissent pas ce qui se passe chez nous et qui ne savent pas à quel point nous sommes en train de mettre la pression, avant tout, sur les gouvernements de nos pays. Il y a beaucoup d’organisations de femmes en Afrique qui se mobilisent en ce sens. Par exemple, l’Association des Femmes Peules Autochtones du Tchad va organiser à N'Djaména, capitale du Tchad, des réunions de travail avec d’autres organisations pour consolider une position des femmes autochtones et des populations autochtones du Tchad sur la COP 21. Nous allons organiser à ce titre une réunion avec tous les membres du gouvernement tchadien pour leur présenter notre position et leur demander le contenu de leur intervention lors de la COP 21 à Paris. Nous tiendrons ensuite une conférence de presse pour préciser à tou-te-s les tchadien-ne-s ce que prévoit de faire le gouvernement et souligner nos attentes. Cela nous permettra aussi d’assurer un suivi de ce que nous avons réussi à obtenir de la part du gouvernement par la suite. Des actions de ce type sont actuellement entreprises par de nombreuses autres femmes africaines dans le but d’interpeller en premier lieu les gouvernements africains sur la prise en compte des besoins des femmes dans le type de développement exigé. Des alliances régionales, par exemple en Afrique centrale, et continentales entre organisations de la société civile se créent également afin de pouvoir relayer une position commune sur la COP 21.
AWID : Vous avez récemment développé une note de décryptage sur les droits humains et le climat en collaboration avec le Réseau Climat & Développement. Quels en sont les principaux éléments ? En quoi l’approche basée sur les droits humains permettrait de garantir les droits des femmes dans les négociations portant sur le climat ?
HOI : Le Réseau Climat & Développement a identifié différents thèmes importants pour la COP 21, à savoir les financements, l’accès à l’énergie pour tou-te-s, le genre, l’adaptation, l’agriculture et la sécurité alimentaire et les droits humains. La note sur les droits humains montre que la question du changement climatique va au-delà de l’environnement, qu’elle touche tout ce qui est social et qu’elle impacte les droits des populations. Puisque les négociateurs-rices ont des difficultés à faire le lien entre le climat et les droits, cette note souligne l’impact direct des violations de droits humains dans le changement climatique, à partir d’exemples palpables de projets qui impactent notamment les populations autochtones et qui violent leurs droits en utilisant leurs propres terres et en limitant leurs accès aux ressources. J’y ai inclus aussi des cas de violations de droits des femmes autochtones mais aussi de droits des enfants car ces derniers ne peuvent plus jouir de leur droit à l’éducation dans un contexte où ils doivent aider à nourrir leur communauté en premier lieu. De plus, les droits à la santé, à l’alimentation, à un logement, à l’eau, à l’énergie et les droits des réfugié-e-s climatiques – qui ne bénéficient d’aucun statut juridique – se retrouvent bafoués. Par exemple, les inondations ou les sécheresses rendent les terres moins fertiles et mettent en péril la sécurité alimentaire ; l’accaparement des terres est à l’origine de violations du droit à l’alimentation et des droits fonciers des populations. Prendre en compte l’intégralité de ces droits humains dans l’accord de Paris permettrait de garantir en même temps et de façon transversale les droits humains des femmes et d’éviter l’émergence de conflits interétatiques. Des recommandations, adressées à différentes parties prenantes, concluent alors cette note.
AWID : Quelles sont vos craintes à l’égard de la COP 21 du point de vue des droits des femmes ? Quelles sont vos attentes ?
HOI : Mes craintes concernent un blocage des négociations autour du vocabulaire employé dans l’accord – par exemple avec la formulation de « droits pour tou-te-s » contestée par certains pays en raison de son aspect inclusif. Ce blocage empêcherait alors d’aborder les questions de fonds dans le processus de négociations du nouvel accord, à savoir notamment la question des moyens de mise en œuvre des politiques prévues. J’ai peur que tout soit beau sur le papier mais que rien ne s’en suive concrètement. Pour éviter cela, il faudrait d’ailleurs que les négociations concrètes soient ouvertes dès maintenant.
Je voudrais que les décideurs-euses comprennent que le changement climatique touche l’humanité et qu’une grande partie de cette humanité est composée de femmes. Il faut donc les intégrer au centre de tout ce qui se décide. Il ne s’agit pas seulement d’écrire un paragraphe qui porte sur les femmes mais de les intégrer de manière transversale dans l’accord de Paris, tout comme il est important d’intégrer les droits des populations autochtones et plus généralement les droits humains dans l’accord. Pour cela, l’accord devrait évoquer clairement les mécanismes à mettre en œuvre pour faciliter l’implication de ces acteurs-rices ainsi que les financements nécessaires qui y sont liés.
Pour plus d’informations sur comment s’impliquer dans cette campagne :
Visitez et suivez le site web, la page Facebook et le compte Twitter de l’appel Mondial des Femmes pour la Justice Climatique.
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