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Prostituer est-il un droit humain ? suite 3 et 4



  • 3. Le droit à la liberté d’expression
    Le système prostitutionnel qui inclut la pornographie et l’industrie du divertissement sexuel sous toutes ses formes, est défendu comme de l’art érotique ou comme relevant de la liberté et de l’expression sexuelles. On invoque alors l’exercice du droit à la liberté d’expression. Des strip-teaseuses et d’autres artistes ont même parfois affirmé retirer un sentiment de pouvoir du fait que leur personne reste inaccessible, alors même que leur mise en scène les rend sexuellement désirables aux yeux des spectateurs masculins. En fait, il n’est pas vrai que les hommes ne peuvent pas avoir de rapports sexuels quand ils le veulent ; des millions de femmes et d’enfants partout dans le monde sont victimes de la traite et acheminés dans des établissements de prostitution, de façon à ce que les hommes puissent précisément avoir des rapports sexuels quand et comme ils le veulent et ce, sans restrictions. On impose et achète le sexe : les crimes sexuels de viol, d’inceste, de harcèlement sexuel sont répandus partout : il y a un viol toutes les 6 minutes aux Etats-Unis, toutes les minutes et demie en Afrique du sud.
    Si la prostitution était une forme de liberté et d’expression sexuelles pour les femmes, alors elles devraient être en mesure de décider et réclamer les actes sexuels qui se font dans la prostitution. Manifestement, ce n’est pas le cas. En fait, alors que la prostitution compte parmi les questions de genre les plus débattues, ces discussions ne portent presque jamais sur la sexualité dans la prostitution. Lorsqu’un client allemand d’une prostituée philippine demande à prendre une photo pour montrer à ses amis dans son pays « les deux choses qui se font de mieux aux Philippines » – une bouteille de bière dans le vagin d’une femme – à qui est la sexualité qui s’exprime là ? Quand un groupe d’hommes paye une femme pour éjaculer simultanément sur elle, quelle sexualité est-ce là ? Quand Patpong offre des « bars à pipes» et des programmes de divertissement qui racolent pour des «chatte faire ping-pong, chatte lancer banane, chatte fumer cigarette, spectacle gros godemiché, poisson enfoncer en elle, œuf enfoncer dans son con, longue aubergine enfoncer dans son con » (Odzer, p.7), ou encore des spectacles de couteaux et de lames de rasoirs dans des vagins de femmes, ce sont les versions vivantes des images de l’immense industrie pornographique qui montrent des grenades dans des vagins de femmes, des rats vivants qui en sortent et des chiens pénétrant des femmes : est-ce du « divertissement pour adultes », une distraction sexuelle, une libération sexuelle ? En fait, il est vrai que là s’exerce largement la liberté d’expression, mais à qui est la sexualité exprimée, et quels sont les énoncés idéologiques émis sur les femmes ? C’est une volonté masculine de déshumaniser les femmes qui est affirmée.
    Il est clair que la sexualité était et demeure un terrain politique, où l’on continue à faire la guerre aux femmes, comme le font clairement apparaître des pratiques telles que le viol, la mutilation des organes génitaux féminins, le non-accès à la contraception, les discriminations contre les lesbiennes, la pornographie, ou encore les films « snuff » où les actes sexuels s’achèvent par la mort véritable de la femme. Dans cette guerre, la prostitution est un champ de bataille central où les femmes en tant que classe sont réduites à un sexe, où leur humanité est niée, et où elles se trouvent livrées à tous ces agissements.
    Prétendre promouvoir la liberté sexuelle des femmes en soustrayant la prostitution et la pornographie à la domination masculine, ainsi qu’à l’idéologie et la pratique sexuelles qui se fondent sur la haine des femmes, c’est manquer de franchise et mettre les femmes en danger. Et tandis que celles et ceux qui plaident en faveur de la prostitution aiment à se faire passer pour des « pro-sexe » et accuser les opposant·e·s d’être « anti-sexe » ou « puritain·e·s », il est tout à fait significatif qu’elles et ils ne questionnent jamais les présupposés fondamentaux du patriarcat ni les normes et pratiques sexuelles masculines. Cela revient à se rendre complice de ces présupposés et de ces pratiques, ou du moins à adhérer au postulat idéologique que les hommes ont un immense besoin « naturel » de sexe, incluant les formes citées plus haut, qui doivent être satisfaites à tout prix. Encore une fois, ce point de vue ignore volontairement la construction sociale et culturelle des conceptions et des comportements sexuels.
    Etre « pro-sexe » c’est s’opposer à la prostitution en revendiquant et en reconstruisant une sexualité qui rehausse la vie, reposant sur le respect de l’autre et mutuellement profitable et, si elle est hétérosexuelle, fondée sur l’égalité de genre. C’est cela, et de loin, la position la plus révolutionnaire ; la position « pro-prostitution » est purement et simplement celle du compromis avec le système "masculiniste" déjà en place.

    4.Le droit humain de ne pas être prostituée

    Les véritables droits humains dont toutes les femmes doivent jouir commencent par le droit de ne pas être discriminées en raison de leur sexe, droit qui fait partie intégrante de tous les documents officiels majeurs des droits humains. La prostitution viole ce droit, parce qu’elle est un système d’extrême discrimination d’un groupe d’êtres humains placé en servitude sexuelle par et pour un autre groupe d’êtres humains, et on ne peut nier que ce sont historiquement et dans une écrasante majorité les femmes et les jeunes filles qui sont prostituées. La prostitution viole le droit à l’intégrité physique et morale par l’aliénation de la sexualité des femmes qui est appropriée, avilie et chosifiée pour l’achat et la vente. Elle viole l’interdiction de la torture et de tout traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant, parce que les pratiques du « divertissement » sexuel et de la pornographie, ainsi que celles des clients sont des actes de pouvoir et de violence sur le corps féminin. Elle viole le droit à la liberté et à la sécurité, ainsi que l’interdiction de l’esclavage, du travail forcé et de la traite des êtres humains, parce que des millions de femmes et de jeunes filles dans le monde entier sont tenues en esclavage sexuel pour satisfaire la demande des acheteurs masculins plus nombreux encore et faire réaliser des profits aux capitalistes du sexe. Elle viole le droit de jouir du plus haut niveau de santé mentale et physique, parce que s’ensuivent des violences, des maladies, des grossesses non désirées, des avortements dangereux et le sida, présentant des risques graves pour les femmes et les jeunes filles dans la prostitution et allant à l’encontre d’une conscience positive de leur propre corps et d’une relation saine avec lui.
    Accepter ou promouvoir la prostitution comme une organisation sociale inévitable de la sexualité ou comme un travail approprié pour les femmes dénie les efforts pour parvenir à des normes supérieures en matière de droits humains, y compris les droits humains des femmes, tels qu’ils ont été énoncés, par exemple, dans la plate-forme d’action de Beijing. Et bien que, même là, le lobby pour la reconnaissance de catégories acceptables de prostitution ait fait des progrès en utilisant les termes de prostitution « forcée » et de prostitution « libre », ce document n’est pas complètement cohérent et atteste d’un malaise persistant devant cette proposition. L’incompatibilité de la prostitution avec l’idée de liberté et d’une véritable autodétermination sexuelles est nettement énoncée dans la plate-forme d’action: « Les droits humains des femmes incluent leur droit de contrôler et de décider de façon libre et responsable dans les domaines relatifs à leur sexualité, ce qui inclut la santé sexuelle et reproductive, libre de contrainte, de discrimination et de violence. Des rapports égalitaires entre les femmes et les hommes dans les relations sexuelles et la reproduction, incluant le respect total de l’intégrité de la personne, nécessitent le respect mutuel, le consentement et la responsabilité partagée dans le comportement sexuel et ses conséquences ».

    La prostitution doit être reconnue non seulement comme une partie, mais comme un fondement du système plus vaste de subordination patriarcale des femmes. Les féministes ont le devoir d’imaginer un monde sans prostitution, comme nous avons appris à imaginer un monde sans esclavage, sans apartheid, sans infanticide ni mutilation des organes génitaux féminins. En fin de compte, les rapports de genre doivent être restructurés de telle façon que la sexualité puisse devenir à nouveau une expérience de l’intimité humaine et non une marchandise à acheter ou vendre.
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