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Prostituer est-il un droit humain ? 2. Le droit à l’autodétermination



  • 2.Le droit à l’autodétermination

    De tous les droits humains et pour défendre le droit de prostituer, les porte-parole de la position « pro-prostitution » invoquent avant tout le droit à l’autodétermination. Il est interprété comme le droit de l’individu de choisir et de prendre des décisions en toute autonomie, ce qui peut comprendre le fait de s’engager dans des relations sexuelles commerciales consensuelles ou de définir les modalités de cet échange sexuel.
    Cette position soulève de nombreux problèmes, et en premier lieu, son incapacité à discerner les déséquilibres structurels sociaux, économiques et politiques, ni les rapports sexuels de pouvoir entre les femmes et les hommes qui forment le contexte de ces choix et décisions. Plus encore, elle fait l’impasse sur une question cruciale, celle de savoir si la prostitution peut mener à l’égalité sociale et sexuelle pour les femmes, ou si elle n’est pas, en réalité, un moyen de perpétuer et de renforcer les inégalités de genre en matière de droits et de statuts. Comme l’ont souligné les défenseurs des droits humains, « En échouant à prendre en compte le phénomène de la domination masculine sur les femmes, tant dans la sphère privée que dans l’espace public, cette notion de droit à l’autodétermination peut, en fait, renforcer l’oppression des femmes de par sa complicité avec le système de la domination et de la violence masculines » (Charlesworth, p. 75).
    Pis encore, cette position masque les inégalités de classe et représente essentiellement le point de vue des pays du Nord. Elle banalise ainsi le phénomène massif d’enlèvement, de tromperie et de traite des femmes et des jeunes filles qui viennent principalement des pays du Sud, mais aussi maintenant des économies disloquées d’Europe de l’Est, et ce sont ces méthodes de recrutement qui, de loin, sont les plus répandues à l’échelle mondiale. Cette position tient encore moins compte du fait pourtant évident que les utilisateurs masculins de la prostitution ne cherchent pas à savoir si la marchandise humaine qu’ils achètent consent à être mise à leur disposition et ne s’en soucient guère. Le consentement déclaré de certaines femmes peut ainsi accabler les autres, toutes ces femmes et ces jeunes filles qui, en aucun cas, n’ont consenti à la prostitution.
    Les notions de choix et de consentement sont des outils d’analyse sans aucune valeur pour comprendre la prostitution comme institution. La prostitution préexiste en tant que système qui nécessite un approvisionnement en corps de femmes, et c’est donc pour assurer cet approvisionnement que des femmes et des jeunes filles sont enlevées, trompées, illusionnées ou persuadées. La manière dont les femmes entrent dans la prostitution n’est pas pertinente pour le fonctionnement du système "prostitutionnel" ; plus précisément, la prostitution se perpétue en tant que système par ce qui est fait et peut être fait aux femmes dans la prostitution, et par les privilèges sexuels qu’elle assure à la clientèle masculine.
    Prenons l’exemple de ces centaines de jeunes filles népalaises vendues en Inde et qui durant les deux ou trois premières années de leur enfermement dans les bordels de Bombay sont étroitement surveillées et n’ont pas l’autorisation de sortir, parce qu’à la moindre occasion, elles tenteraient de s’évader. Par la suite, elles peuvent être exposées dans tous leurs atours, devant la porte des bordels, sans risque qu’elles ne s’enfuient. Elles peuvent même s’absenter un temps, puis revenir. Comment analyser cette situation ? Que leur est-il arrivé dans l’intervalle ?Quelle est la nature de leur « consentement » ultérieur qui définirait l’échange "prostitutionnel" comme une activité consensuelle ? En signant la reconnaissance de la prostitution comme un commerce légitime, le gouvernement des Pays-Bas en arrive même à proposer un nouveau concept, celui du «consentement de plein gré à sa propre exploitation » (Louis, p.8). Pour les femmes (comme pour les travailleurs, les peuples indigènes ou colonisés) dont la condition historique a été l’exploitation et la subordination, c’est à l’évidence un concept barbare et inacceptable.
    Des prostituées et des partisan·ne·s des droits des prostituées affirment avec force que les femmes dans la prostitution peuvent garder intacte leur capacité d’action autonome et accusent les féministes anti-prostitution d’être paternalistes et de ne pas respecter leurs vues.
    La question du consentement, de la « politique du choix personnel », repose sur une vision libérale occidentale des droits humains qui élève la volonté et le choix individuels au-dessus de toutes les autres valeurs humaines et de toute notion du bien commun (Barry, p.81). Pourtant, face aux avancées des biotechnologies, relevons qu’on a interrogé le concept de choix personnel et soulevé des questions éthiques sur l’intégrité du corps humain et de la personne, par exemple, en ce qui concerne la vente d’organes, la maternité de substitution ou le clonage humain. De même, le choix individuel n’est généralement guère retenu comme argument en faveur de l’usage de drogue. Au nom d’une certaine conception de l’être humain et du bien commun, la collectivité a souvent jugé nécessaire de poser des limites à la liberté individuelle. Mais, peut-être parce que les concepts courants du bien commun n’ont jamais inclus celui de la classe des femmes – traditionnellement, la classe « socialement dominée » (Charlesworth, p. 76) D, on tolère la prostitution, une «pratique (qui) contribue structurellement à entretenir une sous-classe » (Mackinnon, citée in Charlesworth, p. 73) au nom de quelques femmes qui la choisissent librement. Au même titre, on aurait pu admettre l’esclavage en prêtant attention aux quelques voix d’esclaves qui se déclaraient contents de leur sort.
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