CDD15 : Entretien avec AlainÉdouard Traoré, vice-président de la CDD-15.
AlainÉdouard Traoré est Secrétaire permanent du Conseil national pour l'environnement et le développement durable du Burkina Faso.
Propos recueillis par Jocelyne Néron (Objectif Terre) - vol. 9, n° 2.
OT - Quelles sont vos impressions du déroulement de cette quinzième
session de la CDD ?
AlainÉdouard Traoré - Malgré les difficultés, il faut déjà se satisfaire
du fait que tous les États soient présents. Cela répond bien à la
logique de ce forum, institué en 1993 après le Sommet de la Terre,
qui a pour mandat de veiller à la mise en oeuvre des décisions de Rio.
La CDD est lelieu où l'on doit continuer les discussions, faire le suivi
et l'évaluation des décisions qui concernent l'état de la planète et
de l'environnement. La CDD doit relever ces défis et j'ai bon espoir
que nous puissions avancer sur un certain nombre de points, mais,
c'est très difficile. Les difficultés ne proviennent pas nécessairement
de la mauvaise foi, elles sont liées aux diverses réalités de chacun.
Notre monde est tellement diversifié ! Chaque pays tient à défendre
ses problèmes spécifiques et une meilleure prise en charge de sa
situation, ce qui génère des situations conflictuelles que l'on doit
arriver à surmonter. Je suis optimiste par rapport à ce que j'ai
vu depuis une semaine et demie. On sent une volonté commune
d'envisager les choses et de poser les problèmes ensemble.
OT - En regard de vos attentes, qu'est-ce qui vous frappe particulièrement
depuis votre arrivée ?
AET - Ce qui me frappe surtout, et que j'aurais tendanceà dénoncer,
est le fait que la Commission ne puisse aboutir à des décisions
concrètes et applicables, et ça, c'est une difficulté majeure. J'attends
qu'elle puisse poser les problèmes dans la logique de ce qui a été décidé
au Sommet de Rio et à Johannesburg, c'est-à-dire, de trouver des
solutions concrètes et envisager des orientations concrètes. Parfois, on
se demande s'il n'y a pas de débats inutiles, sémantiques, une bataille
de mots, et ça, ça me choque. Il m'arrive d'expliquer à des délégations
de pays développés que, dans mon pays, il y a des populations aux
prises avec des besoins pressants et qui attendent autre chose.
OT - Qu'attendent vos populations ? Quelles sont les priorités de
l'Afrique ?
AET - L'Afrique attend que la Commission puisse développer des
partenariats et donner des orientations et des directives afin que
la communauté internationale et les institutions internationales
puissent l'appuyer à trouver les voies de son développement. Si l'on
prend la question de l'énergie, de façon concrète, l'Afrique attend
que la Commission donne des orientations claires pour l'ensemble
des partenaires, bi et multilatéraux, afin qu'ils puissent contribuer à
réaliser l'approvisionnement énergétique de l'Afrique et ainsi réussir à
donner l'accès à de l'énergie pour les populations. C'est fondamental !
Aujourd'hui, hormis l'Afrique du Sud et quelques pays du Maghreb,
le taux d'accès à l'énergie moderne pour les pays au sud du Sahara
se situe autour de 10 à 15 %. C'est catastrophique que 85 à 90 % de
la population n'ait pas accès à l'énergie propre. Cela crée d'autres
types de problèmes : c'est le bois-énergie, la biomasse, qui est le plus
utilisé. On coupe les forêts, et pour des pays arides, c'est un impact
important sur l'environnement en matière de déboisement et de
désertification. Au Burkina Faso, le taux d'électrification est de moins
de 15 % et je ne pense pas que d'ici les 50 prochaines années on
atteindra les 50 %, ce qui causera des problèmes majeurs. On attend
donc des appuis en termes de ressources, de transfert de capacités
et de technologies pour nous permettre de développer des nouvelles
sources d'énergie pour les populations.
OT - Quel bilan faites-vous de la CDD en général ? Y a-t-il eu des
progrès ? Les politiques adoptées ont-elles abouti à des actions ?
AET - Le grand problème dénoncé par les pays en développement est le
fait que les engagements pris dans le cadre de la CDD, un texte négocié
détail par détail, virgule par virgule, finalement, n'influencent personne.
Ce document final, adopté et acheminé au Conseil économique et
social, devrait constituer une référence pour toutes les agences (ONUDI,
FAO, PNUD, PNUE, FMI, Banque mondiale, UNICEF, OMS, etc.) et pour
les pays riches. Si l'on fait l'exercice de mener une réflexion pour définir
les meilleures politiques, le rôle de la communauté internationale est
de renforcer les partenariats et d'inviter l'ensemble des partenaires à
prendre en compte les décisions de la CDD.
OT - Comment combler ce fossé entre les intentions et la mise en
oeuvre ?
AET - Il faut mettre en place un mécanisme de suivi tel que celui
proposé par l'Union européenne (UE). Mais il n'y a pas unanimité
parce que certains ont peur que des engagements soient imposés aux
États. Mais, demande l'UE, si l'on n'a pas ce mécanisme, qu'est-ce qui
va garantir que les décisions aient un effet ?
OT - Les récentes conclusions du rapport du GIEC ont-elles eu un
impact sur les travaux de la CDD ?
AET - Oui, dans le sens où la plupart des discours des États au
segment de haut niveau ont fait référence aux derniers résultats du
GIEC. Ces données du GIEC constituent aujourd'hui un référentiel
majeur en matière de développement durable et de changements
climatiques : il n'y a donc plus matière à spéculation.
OT - Et pour les pays en développement...
AET - Pour les PED, il est extrêmement important que les politiques
tiennent compte de la réalité des effets des changements climatiques.
Les impacts sur la désertification sont une réalité palpable au
quotidien et les pays développés tergiversent à mettre en place le
Fonds pour l'adaptation qui vise à donner davantagede moyens et
de technologies aux pays en développement. Les pays développés
estiment que les technologies appartiennent à des groupes privés
et que les transferts ne peuvent être gratuits. Sans transferts
de technologies, nous savons très bien que les PED n'ont pas les
capacités de les développer. Par exemple, au Burkina Faso, avec
80 % d'analphabétisme, il est très difficile de faire face à ces grands défis du monde actuel caractérisé notamment par un contexte de
mondialisation. Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes
sans avoir les moyens d'y remédier et sans même être à l'origine
de cette situation. Les pays développés nous demandent d'aller
vers les énergies renouvelables, mais il nous faut du soutien pour
développer ces technologies. Il faut trouver des réponses nouvelles
à des problèmes nouveaux.
OT -Êtes-vous optimiste quant à l'issue de cette quinzième session ?
AET - Pas vraiment. Après 14 jours de discussion, les négociations
n'avancent pas. Sur les quatre thèmes abordés par la Commission, on
n'a réussi à s'entendre que sur la question de la pollution atmosphérique.
Concernant l'énergie pour le développement durable, on
n'arrive pas à bouger ; les négociations sont bloquées. C'est bloqué
parce qu'il y a tellement de réalités diverses et de positions divergentes
à concilier. Il est difficile de trouver une position minimale de base. Je
souhaite que les ministres puissent s'impliquer et réussir à réorienter
les délégations.
OT - Quel est le rôle des ministres, outre celui des déclarations au
segment de haut niveau ?
AET - Les ministres travaillent avec leurs experts qui les tiennent
informés et en outre, ils ont des séances de travail tous les matins
avec le Bureau de la CDD. Ils tentent de s'impliquer au mieux afin
de trouver des moyens pour identifier des compromis et pouvoir
avancer. Le président envisage aussi demander aux ministres de voir
comment avancer dans les négociations sur tel ou tel point.
OT - Sur cette question de l'énergie pour le développement durable, tous
les pays africains se sentent-ils à l'aise au sein du Groupe G77/Chine ?
AET - Nous avons quelques difficultés mais le G77 accepte de prendre
en compte les préoccupations africaines. Rappelons nos priorités : il
nous faut viser une plus grande disponibilité d'énergies propres et
modernes. Nous avons le problème de l'approvisionnement et celui
de l'accès aux technologies. Au-delà du G77, l'Union européenne
ainsi que la plupart des institutions de partenariat et des agences de
développement sont unanimes à admettre qu'en matière d'énergie, il
faut une approche particulière pour l'Afrique, ainsi que des moyens
pour faciliter l'accès à l'énergie. Il n'y a donc pas de problème à ce
niveau. Le problème se pose à un autre niveau, soit entre les pays
européens qui veulent mettre en avant les énergies renouvelables
et les pays qui produisent le pétrole. Il y a donc dichotomie entre
ceux qui favorisent les énergies renouvelables, ceux qui affirment
que le pétrole et les énergies fossiles vont continuer à dominer nos
politiques énergétiques, et d'autres qui prônent les biocarburants.
On peut reprocher aux pays développés de vouloir une chose et
son contraire. Si l'on met en avant les énergies renouvelables, il faut
en même temps donner les moyens aux PED, en termes de transferts
technologiques et d'appuis financiers. Au Burkina Faso, nous avons
le soleil 365 jours par année, mais nous n'avons pas les technologies
pour développer l'énergie solaire et l'exploiter à bon marché.
Source :
http://www.oei.ihqeds.ulaval.ca/
[CDD15]
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