Par Noah Beckwith, Spécialiste du financement du développement
Pour faire du développement durable une réalité, il faut prendre en compte l’interdépendance entre les problèmes environnementaux et sociaux. Les gouvernements, les organisations internationales, les institutions de financement du développement et les donneurs reconnaissent qu’il faut faire tomber les barrières entre aide, commerce, investissement et gestion des ressources naturelles, dans les pays développés comme en développement. Le double objectif de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté ne peut être atteint sans changer les pratiques commerciales qui nuisent au capital environnemental et social.
C’est là qu’intervient l’entreprise inclusive, qui représente l’une des nombreuses stratégies d’investissement à impact social, permettant d’investir dans une optique de rendement tout en luttant contre la pauvreté. En présentant les pauvres comme un marché potentiel de quatre milliards de personnes, l’ouvrage de C.K. Prahalad paru en 2004, The Fortune at the Bottom of the Pyramid, a fait bouger les lignes. C’est sur ce constat que repose le principe de l’entreprise inclusive, qui regroupe les entreprises dont les biens ou les services répondent à des problématiques d’accès, de coût ou de qualité et permettent aux pauvres de satisfaire leurs besoins essentiels, et celles qui intègrent les pauvres aux chaînes d’approvisionnement en tant que producteurs, fournisseurs, distributeurs ou travailleurs, dans des relations pérennes et mutuellement profitables.
Depuis le milieu des années 2000, les spécialistes du financement du développement, conscients de la corrélation entre pauvreté et utilisation non durable des ressources, considèrent l’entreprise inclusive comme prometteuse pour deux raisons. Premièrement, elle favorise la croissance économique, le développement du secteur privé et la réduction de la pauvreté en ayant un impact neutre, voire positif, sur les ressources. Deuxièmement, elle permet de compléter les fonds publics, de plus en plus rares, avec des capitaux provenant d’investisseurs privés désireux d’allier rendement et impact social. Le défi consiste maintenant à faire de l’entreprise inclusive une priorité de l’action publique. Avec près de 10 % de la population mondiale vivant sous le seuil de pauvreté et plus de 700 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté en 2015, les pauvres, qui subissent de plein fouet la dégradation environnementale et sociale, doivent faire partie de la solution.
Le secteur agricole, qui représente plus de 90 % de la production économique dans certains pays en développement, montre l’exemple. Il est en effet miné par des rendements et une valeur ajoutée faibles, des chaînes d’approvisionnement fragmentées et des pratiques souvent néfastes pour l’environnement. Faute du savoir-faire et des technologies nécessaires, les petits producteurs sont piégés dans un cercle vicieux conjuguant production limitée et faibles revenus. Or, en appliquant l’approche de l’entreprise inclusive, cette faiblesse devient un point fort. Il s’agit d’investir dans différents acteurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement — transformateurs, semenciers, loueurs de matériel, établissements dédiés au financement des intrants et à l’assurance des récoltes — afin que les pauvres puissent produire de manière plus efficiente et plus durable. La motivation ici n’est pas l’altruisme, ni la philanthropie ou la responsabilité sociale : il s’agit d’entreprises financièrement rentables, qui ont un impact positif et répondent aux problématiques sociales et environnementales en favorisant des relations gagnantes à la fois pour les individus et pour le marché.
Prenons la production rizicole en Thaïlande. Depuis le début des années 1990, Arvind Narula produit du riz basmati dans le cadre d’un modèle d’agriculture contractuelle avec les tribus marginalisées du nord-est de la Thaïlande. En convertissant les agriculteurs à la production biologique et en leur fournissant savoir-faire et formation, son entreprise Urmatt (www.urmatt.com) produit du riz de qualité supérieure, vendu à un prix élevé dans le monde entier. À l’échelon local, la valeur ajoutée est accrue grâce à la transformation des sous-produits, comme le son de riz qui est très recherché par l’industrie cosmétique et le secteur médical. Des recherches préliminaires montrent que le son de riz pourrait même être utilisé dans la lutte contre le cancer.
La stratégie d’Urmatt a créé un cercle vertueux qui lui permet d’assurer une offre constante de produits de qualité en investissant dans des exploitants et en améliorant leurs perspectives, avec à la clé des revenus en hausse. Avec l’introduction de nouveaux produits (graines de chia, œufs biologiques), la liste d’attente des exploitants désireux de travailler avec Urmatt s’allonge. De surcroît, les dégradations environnementales sont évitées, tandis que le capital social est renforcé par l’amélioration du niveau de vie et le recul de la pauvreté. Les entreprises inclusives comme Urmatt montrent qu’il est possible de répondre aux besoins sans sacrifier le capital environnemental et social, au contraire. Les PME, qui représentent plus de 90 % de l’activité économique dans certains pays en développement, sont l’une des clés pour relever ces défis. À l’heure où les pays affinent leurs stratégies de lutte contre le changement climatique et de mise en œuvre des Objectifs de développement durable, ils devraient s’appuyer sur le nombre croissant d’investisseurs prêts à allier rendement financier et impact social. Les organisations multilatérales comme l'OCDE, qui collectent des données et analysent les performances, ont aussi un rôle déterminant à jouer à cet égard. Après tout, cela serait bénéfique non seulement pour la durabilité mais aussi pour la productivité.
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Source : OCDE Forum 2016
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