Par Saira Zuberi, Awid
Les débats tenus à la
46e session de la
Commission des Nations Unies sur la population et le développement
(CPD), sur le thème Nouvelles tendances en matière de migration : aspects
démographiques, ont été le scénario d'un échange de vues des groupes de
défense des droits et les perspectives très étroites de groupes conservateurs à
propos de la migration, ainsi que de l'affirmation du rôle joué par la santé et
les droits sexuels et reproductifs (SRHR) dans la vie des migrant-e-s, en
particulier des femmes et des filles.
Le thème de cette année de la CPD a inspiré de
nombreux Etats membres de la Commission qui ont envoyé des expert-e-s en
démographie à cette réunion. Cette présence, conjuguée aux informations
erronées divulguées par des organisations de la société civile conservatrices
et opposées à la liberté de choix, ainsi que la participation de délégations
influencées par leurs discours ou manquant d'informations dans le domaine, ont
créé un contexte difficile pour les groupes de défense des droits qui
participaient à la réunion.
Le blog simpliste,
Why is the West so obsessed with sex? (Pourquoi
l'Occident est-il si obsédé par le sexe) se termine sur cette citation
éloquente: " Une fois de plus, l'agenda sexuel du premier monde l'emporte sur
les BESOINS du tiers-monde... Ma mère me raconte que sa santé sexuelle et
reproductive ou ses droits sexuels et reproductifs n'ont jamais été une
préoccupation - une immigrante aux États-Unis ". Cet extrait illustre la façon
dont les SRHR ont été rejetés et, d'une manière générale, dissociés des droits
humains par différents collectifs qui s'opposent à ces droits et qui ont
participé activement à la 46e session
de la CPD tenu à New York, en avril.
Pourquoi les SRHR sont-ils importants ?
La santé et les droits sexuels et reproductifs
(SRHR), y compris l'éducation complète à la sexualité ainsi que les droits
relatifs à l'orientation sexuelle et l'identité de genre, ont été rejetés,
dévalorisés ou dénaturés par de nombreux délégués, et même par le président de
la 46e session de la CPD qui a fait référence à plusieurs reprises aux SRHR
comme une distraction et une nuisance
qui compromettent la possibilité d'arriver à un consensus. Toutefois, ceci est
précisément la raison pour laquelle les activistes de défense de ces droits ont
insisté sur le sujet car le droit à la santé en tant que dimension des droits
humains ne suscite en soi aucune controverse.
Avoir recours à la citation d'une immigrante
aux États-Unis estimant que la question des droits sexuels et reproductifs ne
se posait pas pour sa mère pour démontrer que les migrant-e-s n'ont pas besoin
de santé, de droits ni de services sexuels et reproductifs est le reflet d'une
attitude simpliste, pour ne pas dire hypocrite. Il ne faut pas oublier que les
femmes émigrent pour différentes raisons et de différentes façons. Dans le
contexte de migrations forcées, de crises de réfugiés ou du trafic, par
exemple, les femmes et les filles sont beaucoup plus vulnérables à la violation
de leurs droits sexuels et de leur intégrité corporelle face aux trafiquants,
aux fonctionnaires corrompus ou aux opportunistes et dans les conditions
précaires de la vie dans des camps de réfugiés. Les risques sont également
élevés pour les femmes et les filles qui émigrent comme domestiques, car la
dépendance des employeurs, l'invisibilité de leur statut et leur isolement
peuvent les rendre extrêmement vulnérables à la coercition et à la violence
sexuelles. Même dans les situations réglementées dans lesquelles les migrant-e-s
jouissent d'un certain statut et d'une certaine protection, toute personne qui
arrive dans un nouvel environnement rencontre des barrières linguistiques et
culturelles qui aggravent leur vulnérabilité. Dans ces situations et dans
beaucoup d'autres, le besoin de ou le droit à une santé sexuelle et
reproductive ne disparait pas pour une femme,
une fille ou une personne LGBTQI. Ce besoin peut en fait s'exacerber, raison
pour laquelle il est impératif de protéger et de promouvoir ces droits.
Les tweets et
blogs
simplistes de la droite religieuse, selon lesquels les défenseur-e-s de la
liberté de choix s'attendent à ce que les migrant-e-s " avalent des pilules
contraceptives " ou croient que les préservatifs et le droit à l'avortement
vont résoudre les problèmes du monde, sont des déclarations méprisantes et
offensantes, en particulier pour les migrant-e-s, et surtout pour les femmes et
les filles dont les droits sexuels et l'intégrité corporelle sont les plus
menacés. Les risques et les vulnérabilités associés au processus de migration
ou d'établissement viennent se greffer sur les besoins quotidiens actuels en
matière de santé sexuelle qui ne s'effacent pas avec la migration. Le problème
n'est pas de déterminer si les migrant-e-s ont besoin ou non d'aliments, de
refuge, de soins de santé et de sécurité mais si leur santé et sécurité doivent
également inclure les SRHR.
Arguments et tactiques utilisés par les groupes
religieux conservateurs
Malgré les
connexions
évidentes, les forces opposées à la liberté des droits et décidées à exclure
les SRHR étaient toutefois majoritaires.
Le lobby efficace exercé par des OSC
conservatrices disposant de ressources considérables a réussi à forger de
solides relations avec des délégations et des dirigeants avec lesquels elles
ont trouvé un terrain d'entente. Les principales tactiques utilisées dans ces
instances sont la divulgation d'informations et d'arguments erronés, de plus en
plus souvent moyennant les médias sociaux, la manipulation du langage des
droits et l'insertion de clauses destinées à atténuer les engagements déjà
contractés et le langage convenu.
Par exemple, les conservateurs religieux et
sociaux affirment souvent que l'éducation sexuelle complète n'est qu'un code
pour les droits en matière d'orientation et d'identité sexuelles (SOGI), ou
tout simplement la façon d'encourager la promiscuité entre les jeunes enfants.
Ce mythe ancien a de nouveau été évoqué durant
la CPD, par l'intermédiaire de groupes comme Family Watch International (FWI),
qui a distribué de fausses informations ciblées basées sur des faits manipulés
et des données faussées, par exemple à travers un rapport sur l'éducation
sexuelle complète (
CSE)
qui banalise les efforts déployés pour garantir que les jeunes soient équipés
et informés de façon adéquate à propos de leur corps et de leurs droits en les
accusant de vouloir " sexualiser les enfants ". Ce lobby contre la fourniture
de ce type d'éducation visant à une responsabilisation a malheureusement
contribué à la perte du langage convenu sur l'éducation sexuelle complète dans
le texte définitif de la résolution de la 46e
CPD. Malgré les efforts des défenseur-e-s des droits et des délégués partageant
leur avis dans certains collectifs comme l'Union européenne et des états comme
l'Uruguay, l'Afrique du Sud et d'autres pour inclure une mention explicite sur
les vulnérabilités spécifiques des migrant-e-s LGBTQI dans leur pays d'origine
et dans les pays d'accueil, ces tentatives ont également échoué en raison du
lobby conservateur concerté.
La représentation du plaidoyer en faveur des
droits comme une " obsession " pour les droits sexuels a également porté
atteinte à l'engagement clair de ces groupes vis-à-vis d'autres questions
cruciales en matière de droits, par exemple les efforts concertés pour associer
le droit général à la santé aux services de santé réellement prêtés,
indépendamment du statut de la personne. Bien qu'ayant fait l'objet d'une
grande controverse et de débats houleux entre de nombreux pays d'origine et
d'accueil des migrant-e-s, cet effort s'est traduit dans l'énoncé du paragraphe
opérationnel 4 (OP4) - qui demande aux états de promouvoir et de protéger " les
droits humains et les libertés fondamentales de tous les migrant-e-s quel que
soit leur statut... " dans le texte final de la
Résolution.
Les arguments habituellement utilisés pour
divulguer des informations erronées sur l'avortement ont été à nouveau brandis,
par exemple dans la déclaration orale du représentant de
Endeavour Forum,
qui a réitéré le faux concept selon lequel
l'avortement sûr
n'existe pas, sur la base d'une recherche peu sérieuse et d'un
raisonnement biaisé affirmant que même l'avortement légal est nuisible pour la
santé mentale et reproductive des femmes. Dans la foulée de cet argument, les
groupes défendant la santé et les droits sexuels ont été accusés de
profiter de l'industrie de
l'avortement et de vouloir gagner de l'argent sur le dos des migrant-e-s. Les
efforts de promotion des SRHR ont même été qualifiés de démarche " impérialiste
" dans le sens où l'attention portée sur les droits et les besoins en matière
de SRHR des femmes africaines et latino-américaines et de la population
migrante en matière de SRHR constitue, selon leurs opposants, en fait un "
génocide contre les pauvres ", comme si les
tauxd'
avortement non
médicalisé et le risque associé aux besoins non satisfaits en
matière de santé sexuelle n'étaient pas un problème urgent pour les
innombrables personnes qui vivent dans le Sud global. Des tweets
affirmant que les avocat-e-s des droits signalaient " aucune mention des
services / de l'amélioration des soins de santé pour les femmes enceintes et
leurs enfants - l'accent est mis sur l'élimination de l'enfant conçu " ont
contribué encore plus aux fausses informations diffusées durant la réunion.
Malgré ces efforts de dissimulation et de
distraction, la résolution finale a quand même réaffirmé le
Programme
d'action de la CIPD, et a inclus une référence spécifique à
l'avortement médicalisé et à la contraception d'urgence, là où elle est
autorisée par la loi, en particulier pour les migrantes qui ont survécu à la
violence sexuelle. La déclaration a également réaffirmé le droit à la santé
sans aucune qualification (par exemple quel que soit le statut migratoire), le
droit à la santé incluant l'information et l'éducation, la non-discrimination
et l'accès aux services susceptibles de protéger les droits sexuels et
reproductifs des migrant-e-s, en particulier ceux et celles qui sont les plus
vulnérables aux abus (femmes, filles et personnes LGBTQI).
Malheureusement, les progrès accomplis et les
atouts conservés en matière de SRHR pour les migrant-e-s ont également été
compromis par l'inclusion d'un paragraphe sur la souveraineté de l'État,
stipulant " le droit de chaque pays à mettre en oeuvre les recommandations du
programme d'action ou d'autres propositions contenues dans la présente
résolution, conformément à sa législation nationale et à ses priorités de
développement, dans le respect des différentes valeurs religieuses et éthiques
et du contexte culturel de sa population, ainsi que des droits humains reconnus
à l'échelle universelle. " Cette clause particulière est souvent utilisée par
les forces qui s'opposent à la liberté des droits pour faire jouer la
sémantique à l'encontre de la nature holistique et indivisible des droits
humains moyennant l'argument selon lequel l'avortement ou l'orientation
sexuelle n'est pas reconnu de façon universelle (à savoir, reconnu littéralement)
dans le droit international relatif aux droits humains.
Les groupes conservateurs accusent de plus en
plus les défenseur-e-s des droits d'impérialisme ou de génocide pour le seul
fait de tenter de promouvoir les droits humains de tous les individus où qu'ils
se trouvent et qui ils soient. Ils considèrent que la reconnaissance de
certains droits à d'autres personnes va à l'encontre de leurs libertés religieuses
ou de conscience. Il incombera aux défenseur-e-s des droits de continuer à
remettre en question et à dénoncer les informations erronées et les données
manipulées sur lesquelles sont basés les arguments fondamentalistes et de
continuer à plaider pour que les gouvernements respectent et étendent les
protections prévues dans les politiques et dans le droit international, ainsi
que la promotion des droits humains. Il est de notre devoir de continuer à
réaffirmer et à insister sur le fait que les SRHR font partie intégrante des
droits humains et du droit à la santé et que tous les états ont l'obligation de
protéger, de promouvoir et d'appliquer ces droits.