Depuis la révolution industrielle, le mode de vie des sociétés occidentales est inextricablement lié à la présence d'énergie abordable et facilement accessible. Ce modèle de civilisation " moderne " et énergivore s'est depuis lors largement répandu à l'échelle de la planète et il continue aujourd'hui à gagner du terrain dans les pays en développement. Ceci a été rendu possible par un apport énergétique principalement assuré par les combustibles fossiles, au point que ceux-ci représentent actuellement plus de 80 % de la production mondiale d'énergie primaire (IEA, Key World Energy Statistics 2013).
Périodiquement, nous vivons des crises énergétiques. La fin des réserves de charbon en Europe, déjà anticipée à la fin du XIXe siècle par Stanley Jevons, a mené à une crise structurelle dans de nombreuses régions du Vieux Continent. Le pic de production de pétrole conventionnel aux États-Unis a été atteint vers la fin des années 1970, tel que prévu par M. King Hubbert. Les crises du pétrole de 1973 et 1979 ont de surcroît mis en évidence la vulnérabilité des sociétés industrielles à des impasses énergétiques.
Selon toute vraisemblance, nous entrons présentement dans une nouvelle crise énergétique. L'enjeu n'est cependant plus l'épuisement des sources de pétrole conventionnel, grâce à la percée des pétroles de schiste, mais principalement les conséquences environnementales de notre consommation énergétique. L'humanité a déjà émis plus de la moitié de la quantité de carbone qu'elle pouvait se permettre d'émettre pour pouvoir espérer limiter le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius, la cible énoncée à Copenhague en 2009.
Le récent boom des combustibles fossiles non conventionnels - sables bitumineux, gaz de schiste, pétrole de schiste, forages marins à grande profondeur, réserves arctiques - a mené à une multiplication des risques humains et écologiques et à un mouvement citoyen de protestation de plus en plus vaste contre les impacts environnementaux et les risques liés à la production et au transport de l'énergie. Les accidents récents de Deep Water Horizon dans le Golfe du Mexique (2010) et de Lac-Mégantic au Québec (2013) témoignent de l'importance des enjeux actuels liés à l'énergie, tout comme, par exemple, le développement de l'exploitation des sables bitumineux en Alberta et au Venezuela, la mise en exploitation de nouveaux gisements de gaz naturel et de pétrole en Afrique de l'Est, le développement fulgurant de l'exploitation des gaz de schiste en Amérique du Nord et en Europe, ou encore les nouveaux projets de pipelines en Amérique du Nord. Les autres sources d'énergie conventionnelles, telle que le nucléaire, ne sont pas exempt d'enjeux majeurs, pensons à l'accident de Fukushima au Japon (2011) ou la fermeture de plusieurs centrales nucléaires arrivées en fin de vie.
En ce début de 21e siècle, une transition énergétique de grande envergure s'impose. Celle-ci doit s'inscrire dans la transition vers une économie décarbonisée qu'une stabilisation du climat rendra nécessaire. De nombreuses avenues existent pour y réussir. L'Ontario est devenu le premier gouvernement régional en Amérique du Nord à se départir de sa filière du charbon grâce à des investissements massifs en efficacité énergétique. La Chine est désormais chef de file dans les filières hydroélectrique, solaire et éolienne. Aussi l'Allemagne a investi massivement et a mis en place une législation pour le développement des énergies renouvelables qui, bien que ce pays ait certes réalisé une performance en terme de développement des renouvelables (23% d'électricité d'origine solaire et éolienne), exigent du fait de leur intermittence le recours à de vieilles installations thermiques. L'Energiewende allemande débouche sur l'ouverture d'immenses zones minières dévolues à l'extraction de lignite, sans compter l'importation de charbon des États-Unis. Ainsi, il n'est pas certain que la ruée sur les énergies non conventionnelles puisse pallier le manque à gagner qu'entrainera la diminution du plateau d'exploitation des énergies conventionnelles. La transition énergétique n'est pas une chose simple.
À l'échelle internationale, les mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto, les échanges de crédits de carbone ou des fonds dédiés comme le Fonds pour les technologies propres du Fonds d'investissement pour le climat, créé par le G8 et administré par la Banque Mondiale, sont autant d'outils permettant un transfert technologique entre pays.
Des obstacles importants se dressent sur la voie de cette nécessaire transition énergétique. L'attentisme constaté lors des négociations sur les changements climatiques ne lance pas un signal fort aux gouvernements nationaux pouvant les motiver à mettre en oeuvre des programmes conséquents de réduction d'émissions de GES. L'absence de cibles d'émissions contraignantes voue également le marché du carbone à une existence marginale. Dans la population, la réticence contre des mesures énergétiques pouvant mener à une augmentation des prix de l'électricité s'accroît, à l'exemple de l'Allemagne. L'accueil réservé à l'écotaxe (en projet) en France traduit bien le fait qu'une population aux prises avec une crise économique structurelle n'acceptera pas indéfiniment une augmentation de la contrainte. Les structures économiques et politiques existantes sont largement dominées par le secteur des énergies fossiles, de sorte que des investissements à long terme sont effectués dans ce domaine, verrouillant les trajectoires économiques pour plusieurs décennies. Finalement, l'absence de prise en compte des externalités environnementales et sociales, en particulier dans le domaine de la santé (la Virginie Occidentale, second plus important producteur de charbon aux États-Unis, est classée 48e État en ce qui concerne l'espérance de vie), ne permet pas de faire des choix énergétiques reflétant le véritable coût de l'énergie. On doit aussi considérer le faible taux de retour énergétique (Energy Return On Energy Invested) caractéristique des énergies non-conventionnelles, ainsi que le fait que leur exploitation soit très coûteuse en émission de CO2 (1 baril en Arabie Saoudite équivaut à 10 kg de CO2 et 100 kg pour l'Alberta(Canada)).
D'un autre côté se posent les défis nombreux liés au développement des énergies renouvelables et la question de leur " acceptabilité sociale ". Outre la question du " combien " (quels besoins) et celle du " comment " (par quels moyens produire), qui sont à priori - mais à priori seulement - des questions techniques, deux dimensions essentielles de la question doivent également être abordées et débattues dans le contexte de la transition énergétique, soit :
Par rapport à la situation retrouvée dans les pays riches du Nord, il importe de ne pas oublier que les enjeux énergétiques sont aujourd'hui tout aussi importants, voire plus grands encore, dans de très nombreux pays en développement où l'accès à l'énergie est un facteur déterminant de développement. La quête de nouvelles ressources énergétiques y est également un enjeu social, économique, environnemental et politique majeur, notamment en Afrique où l'énergie est tout à la fois une question de première nécessité, mais aussi un tremplin vers les marchés mondiaux et vers une meilleure intégration à l'économie-monde. Et que dire des situations des deux géants démographiques que sont l'Inde et la Chine dont les besoins et la consommation en énergie s'accroissent rapidement, notamment au prix d'une forte augmentation de leurs émissions de GES (IEA, CO2 Emissions from Fuel Combustion, Highlights 2013).
Enfin, à l'échelle globale et dans un contexte de civilisation moderne triomphante, la question ultime et urgente porte, non pas sur notre capacité à répondre dans les prochaines décennies aux besoins grandissants en énergie, mais plutôt sur notre capacité à contrôler la consommation d'énergie (maîtrise de l'énergie, mode de vie, organisation du territoire, etc.) tout en développant le plus rapidement possible la part des énergies " vertes " dans nos systèmes énergétiques, au point où celles-ci deviendront dominantes, voire éventuellement les seules grandes formes de ressources énergétiques exploitées. Face aux changements climatiques amorcés et dans une optique de développement durable, la transition énergétique apparaît donc aujourd'hui comme incontournable. Mais cette transition énergétique doit-elle se faire seulement en regard du critère des émissions de GES ou cette analyse doit être plus large afin d'inclure d'autres critères et paramètres ?
Numéro thématique sur la " Transition énergétique : contexte, enjeux et possibilités "Plus spécifiquement, dans le cadre de cet appel à textes notre but est de publier un dossier multidisciplinaire abordant les différentes dimensions de la thématique croisée " énergie, société et environnement " et mettant l'emphase sur les enjeux sociétaux quant à l'énergie, la transition énergétique ainsi que sur les alternatives en matière d'énergie. Voici quelques exemples (non exclusifs) de thématiques pouvant être abordées :
Situation énergétique et prospectiveLes textes soumis devront être innovateurs et apporter une contribution au corpus scientifique existant. Il peut s'agir d'articles de résultats de recherche (études de cas), de réflexions théoriques ou de transfert de connaissance (synthèse). Puisque la thématique croisée " énergie, société et environnement " représente un objet d'étude ayant une forte interdisciplinarité, les textes peuvent autant provenir des sciences naturelles, des sciences sociales et humaines, des sciences de la santé, des sciences de l'environnement, etc.
ÉchéancierSauf pour les dates du 25 février et du 30 juin, l'échéancier est fourni à titre indicatif.
Soumission des propositions et des textesLes propositions et manuscrits (avec résumé, texte complet, figures, tables et bibliographie) doivent être soumis par courrier électronique à l'adresse suivante : vertigoweb@sympatico.ca. La soumission doit être bien identifiée au nom du dossier : " Transition énergétique : contexte, enjeux et possibilités ".
Pour soumettre un texte, prière de consulter les politiques de publication de la revue disponibles à l'adresse suivante : http://vertigo.revues.org
Lors de la soumission, les auteurs doivent fournir leur nom et les coordonnées de trois réviseurs potentiels pour leur article. La revue se réserve le droit de choisir ou non les réviseurs proposés.
Vous pouvez aussi nous faire parvenir en tout temps des propositions de textes pour les différentes sections de la revue. La revue accepte la soumission de textes scientifiques en tout temps.
Coordination
du numéro : Christian Bouchard (Université
Laurentienne, Canada), Frédérick Lemarchand (Université de Caen
Basse-Normandie, France), Sebastian Weissenberger (Université du Québec à
Montréal, Canada), Sécou Sarr (Enda Énergie, Dakar, Sénégal), Gaëtan Lafrance
(Centre Énergie Matériaux Télécommunications, INRS, Canada) et Éric Duchemin
(Université du Québec à Montréal, Canada).
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