Depuis 1996, date de leur première édition (qui s’est tenue à l’Université Laval à Québec), les Congrès internationaux des recherches féministes dans la francophonie (CIRFF) constituent, tous les trois ans, un moment privilégié d’échanges et de débats entre chercheuses de tout statut, étudiantes, créatrices, militantes et actrices sociales, et leurs homologues masculins, impliquées dans la production des savoirs féministes en langue française, autour des études féministes, de genre et sur les femmes.
Le congrès de 2018 sera l’occasion de mettre en lumière les luttes et savoirs féministes et leurs convergences avec les mouvements contre le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme, contre le nationalisme populiste et les extrémismes religieux, ainsi qu’avec les mouvements qui résistent à l’avancée du capitalisme mondialisé.
Francophonie et recherches féministes
La francophonie représente tant le trait d’union que l’enjeu d’un débat sur la portée heuristique de la langue française dans un contexte mondial postcolonial où les langues scientifiques sont des langues de domination géopolitique et économique.
La complexité du monde actuel caractérisée par des défis écologiques, des conflits armés, des migrations forcées, la montée des conservatismes, une division internationale du travail sous l’emprise des rapports sociaux de sexe, de classe et de race et du profit capitaliste, constitue le contexte géopolitique dans lequel se prépare la 8ème édition du Congrès international des recherches féministes dans la francophonie. Ce congrès s’emploiera à mettre en relief les causes et les formes de domination, d’oppression et d’exploitation qui découlent de ce contexte et à proposer des pistes d’action pour en contrer les effets.
Résultat de l’héritage historique et politique, la francophonie peut être pensée comme un espace de convergences et de conflits :
Un espace de convergences, parce que la situation des femmes a pu être marquée de contraintes spécifiques dues aux religions, aux législations inspirées notamment du code Napoléon, au paradigme d’une « démocratie » les ignorant ; parce que les idées féministes, comme le mouvement social dont elles sont issues, ont pu s’appuyer sur des référentiels communs (Universalisme, « Droits de l’homme », laïcité et modèle républicain) dont elles ont dû affronter les paradoxes (exclusion des femmes du « suffrage universel », patriarcat de lois coloniales prétendument libératrices, décalage entre principes philosophiques et réalités vécues).
Mais aussi un espace de conflits en raison des rapports de domination qui sont à l’origine de la francophonie où le modèle français d’émancipation est parfois considéré comme néocolonial et devant, comme tel, être refusé.
Dans l’espace francophone, la langue commune dessine un cadre pour la réflexion au travers de concepts originaux, tels celui de rapports sociaux de sexe. Elle donne des moyens d’échange intellectuel entre chercheuses et chercheurs féministes, qu’elles ou ils travaillent au sein de l’académie ou produisent des savoirs à partir de leurs pratiques militantes pour la défense des droits des femmes. C’est ainsi que s’est construit, au cours des sept premiers congrès CIRFF, un réseau informel et dynamique de recherche féministe dans la francophonie.
Profitant d’être en France et à proximité de Paris, ce congrès réfléchira aux moyens de tisser des solidarités entre féministes utilisant la langue française contre un usage hégémonique de la francophonie.
Réalités, luttes, utopies dessinent les espaces et enjeux féministes
Pour prendre acte de la diversité des approches féministes, de nos convergences et de nos divergences internes et externes, nous attendons des propositions de contributions qui se situent dans le cadre de la double perspective des espaces et des enjeux féministes contemporains, et qui s’attachent à rendre compte des réalités vécues par les femmes, leurs luttes et leurs utopies.
Il s’agit notamment, à l’occasion de ce congrès et comme s’y sont efforcés les précédents CIRFF, de faire un pont entre les mondes militants et le monde académique, entre les savoirs issus du terrain, de la pratique et des productions universitaires. Congrès des savoirs féministes, le CIRFF2018 pourra ainsi servir d’espace de formation (d’université d’été) aux militantes associatives et aux professionnelles de l’égalité. Elles pourront diffuser leurs savoirs et les propositions d’activité allant dans ce sens seront bienvenues. Car les savoirs féministes doivent trouver leur traduction dans la définition de politiques publiques en faveur de l’égalité entre les sexes, qu’il s’agisse de l’égalité au sein de la sphère professionnelle, éducative, politique ou familiale, ou qu’il s’agisse de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Espaces des savoirs féministes
La mise en exergue de la notion d’espace dans ce congrès est un appel à penser une production des savoirs féministes qui prend et se donne de la place, qui se vit en pratique et « ouvre » à la critique et au dépassement des binarités et normativités. Ses différents lieux, militants, universitaires, institutionnels, créatifs dessinent un territoire féministe commun, autour d’un projet émancipateur. Ce territoire est traversé par des courants qui forment, et depuis longtemps, des paysages multiples, dont nous aimerions que le congrès rende compte.
Dans l’ensemble de l’espace social, l’attention accordée aux polarités (centre/périphérie) et aux circulations doit aussi permettre de porter un regard critique sur la qualité de l’accès aux différents lieux et sur les rapports de domination qui les traversent.
Héritier de contraintes communes tout autant que producteur de rapports de pouvoir néocoloniaux, l’espace de la francophonie lui-même doit être interrogé à différents niveaux, de l’espace mondialisé à l’échelle du corps.
Enfin, nous souhaitons que le congrès fasse la part belle à ces espaces sans lieu que sont les utopies féministes, et réfléchisse aux conséquences politiques des compromis que nous sommes parfois amenées à faire, en lien avec les politiques d’égalité, l’institutionnalisation des études académiques de genre et de l’espace associatif.
Tout en ne s’y réduisant pas, les recherches féministes portent notamment sur l’étude des féminismes et de leurs apports à l’histoire. Ainsi le congrès de 2018, qui se déroulera à l’université de Nanterre l’année du cinquantenaire de mai 68, sera l’occasion de rappeler les contributions des féministes aux idées culturelles et politiques des années 68.
Enjeux des savoirs féministes
Quels sont les apports des savoirs féministes et quelle est leur capacité à analyser les tensions nées de l’imbrication des rapports de domination ? Les dimensions sociale, politique, économique, culturelle, artistique et psychologique de ces apports doivent être mises au jour à l’occasion d’un tel congrès pour garantir que les savoirs féministes, loin de se cantonner aux livres et aux débats académiques, débouchent sur un féminisme de proposition.
Comment par exemple transformer nos analyses sur les conflits armés, sur les résistances des peuples en propositions d’action de solidarité ? Comment contribuer, à partir de l’expertise des femmes dans la recherche de solutions politiques, à une culture de paix ?
Comment poursuivre la lutte contre l’hétéronormativité ? Où en sont les apports politiques et théoriques du lesbianisme et du transféminisme à la pensée féministe ?
Quel regard porter sur les échanges économico-sexuels, aussi bien au sein des institutions matrimoniales hétérosexuelles et homosexuelles qu’au sein de la prostitution/du travail du sexe et sur les luttes qui entourent la reconnaissance ou l’interdiction de ces pratiques ?
Comment faire advenir partout dans le monde la reconnaissance des droits des femmes en matière de contrôle des naissances, d’IVG et de contraception, d’accès à la procréation et à la maternité dans de bonnes conditions, sans oublier la lutte contre la stérilisation forcée ?
Comment diffuser les connaissances acquises grâce aux sciences humaines et sociales féministes dans tous les domaines d’étude et dans toutes les disciplines scientifiques pour contrer les erreurs scientifiques dues au point de vue androcentrique et hétéronormatif ?
Bref, utilisons l’espace de la francophonie féministe pour échanger sur les enjeux de nos analyses mais aussi de nos stratégies militantes et scientifiques, et peut-être fournir des outils plus percutants pour contrer efficacement les mouvements de réaction idéologique qui tendent à réduire nos recherches à une pensée unique et simpliste, comme les attaques récentes contre « la théorie du genre » ; ou encore l’instrumentalisation des idées égalitaires du féminisme pour légitimer des prises de positions racistes et classistes, entraînant notamment la stigmatisation des personnes migrantes et réfugiées.
Pour une transmission des savoirs féministes
Ce 8ème Congrès international des recherches féministes dans la francophonie sera tourné vers l’avenir. Il ne manquera pas de faire des propositions à la fois en termes de construction de l’autonomie des femmes, de définition de nouveaux droits mais aussi, inséparablement, de transmission des savoirs entre espaces militants et académiques et entre générations.
Il doit être un outil pour l’action militante dans chacun des pays de la francophonie mais aussi dans une visée transnationale pour construire un monde plus juste ; pour développer la créativité féministe et produire les images de nos utopies afin de mieux les diffuser et de mieux les transmettre.
Le Congrès se tiendra au campus de l'Université Paris Nanterre, du 27 au 31 août 2018.
%u202ALa date limite pour l'envoi des propositions pour le Congrès est fixée au 30 juin 2017.
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