Depuis 1996, une expérimentation unique au monde est menée par les écologues au nord de la Suède dans un archipel de 30 îles forestières. Des feux naturels détruisant la végétation se sont produits sur ces îles à différentes époques en transformant chacune d’elles en un écosystème indépendant qui diffère notamment en terme de productivité et de fertilité des sols. Collectivement, ces îles représentent une « chronoséquence » d’îles de plus de 5 000 ans. Ainsi, depuis plus de 20 ans, sur ce terrain d’expérimentation unique, les scientifiques ont régulièrement supprimé différentes espèces et groupes fonctionnels de plantes. L’objectif est de simuler une perte de biodiversité dans chacune de ces îles et de mieux en comprendre les effets sur le fonctionnement des écosystèmes dans des contextes environnementaux différents1.
Une équipe de l’Inra, en collaboration avec des universités suédoise et singapourienne, a analysé 20 ans de données obtenues dans ces îles sur la biomasse de trois buissons : la myrtille (Vaccinium myrtillus), l’airelle rouge (Vaccinium vitis-idaea) et la camarine hermaphrodite (Empetrum hermaphroditum). Présentes partout dans l’archipel, ces trois espèces représentent plus de 95 % de la biomasse de ce groupe de plantes (les buissons). Les chercheurs ont simulé des pertes d’espèces identiques mais dans des environnements naturels contrastés. En effet, les feux se produisant plus souvent dans les grandes îles, ces dernières sont donc les plus jeunes, plus productives, et présentent un sol plus fertile que les petites îles. Sur le long terme : comment se comporte la biomasse de la végétation si on arrache l’une ou l’autre de ces trois espèces ? Quels sont les effets dans les grandes îles par rapport aux petites ? Qu’en est-il de la stabilité de de la végétation au cours du temps ?
Face aux fluctuations climatiques, la biodiversité augmente la stabilité de la végétation
Premier constat : la biomasse des buissons est très affectée par l’arrachage des espèces (jusqu’à 70 % de réduction). Ces effets varient non seulement en fonction des combinaisons d’espèces arrachées mais aussi en fonction de la taille des îles : les espèces à stratégie acquisitive (croissance rapide, riche en nutriments) ont un effet prédominant dans les écosystèmes productifs (grandes îles) alors que les espèces à stratégie conservative (croissance lente, riches en composés de défense) ont un effet prédominant dans les écosystèmes plus anciens (petites îles). Mais, contre toutes attentes et à l’encontre des résultats obtenus dans le cadre d’expérimentations où les communautés végétales sont assemblées manuellement, l’effet de la perte de biodiversité sur la production de biomasse diminue avec le temps. Les chercheurs attribuent ces résultats à une augmentation progressive des effets compensatoires mis en œuvre par les espèces restantes, permettant ainsi une meilleure utilisation des ressources et une optimisation de l’espace laissé vacant par l’espèce perdue. Cependant, les variations temporelles dans la production de biomasse étaient plus importantes pour les espèces seules, renforçant ainsi l’idée que la biodiversité augmente la stabilité des communautés végétales face aux fluctuations climatiques au cours du temps.
Ces résultats suggèrent que pour comprendre et prévoir les conséquences de la perte de biodiversité, il est indispensable de tenir compte du contexte environnemental. Ce qui importe n’est pas seulement quelle espèce est perdue ni comment celles qui restent parviennent à exploiter les ressources disponibles, mais également la connaissance de l’écosystème dans lequel ces espèces sont menées à disparaitre. Cela souligne également la nécessité de la mise en place de politiques publiques de conservation visant à encourager la préservation la biodiversité afin de maintenir une productivité élevée au sein d’une large gamme d’écosystèmes parfois très contrastés.
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