Projet pour un Appel de Paris des scientifiques en faveur de la biodiversité
Ce projet proposé par le comité scientifique de la Conférence internationale Biodiversité : science et gouvernance a été présenté par Michel Loreau, président du comité scientifique, lors de son intervention en session plénière, lundi 24 janvier 2005 à l'UNESCO.
Le texte ci-après est un document de travail. Sa rédaction n'est pas définitive. Les propositions d'amendement sont à remettre au secrétariat de la conférence (ou à envoyer à organisation.biodiv@dr.education.fr) avant jeudi 27 janvier, 11 heures.
1. La biodiversité constitue un patrimoine naturel et une ressource vitale pour toute l'humanité
La Terre abrite une extraordinaire diversité biologique, qui inclut les millions d'espèces qui habitent notre planète, mais aussi la variété de leurs gènes, physiologies et comportements, la variété de leurs interactions écologiques entre elles et avec leur environnement physique, et la variété des écosystèmes complexes qu'elles constituent. Cette biodiversité, qui est le produit de plus de 3 milliards d'années d'évolution, constitue un patrimoine naturel et une ressource vitale dont l'humanité dépend de multiples façons:
* elle est une source de valeurs esthétiques, spirituelles, culturelles et d'agrément ;
* elle fournit des biens qui possèdent une valeur d'usage directe, tels que nourriture, bois, textiles et médicaments ;
* elle soutient des services écologiques dont les sociétés humaines dépendent souvent indirectement, comme la production de ressources pour les animaux domestiqués, chassés ou pêchés, la pollinisation des plantes cultivées, le maintien de la qualité des eaux et de la fertilité du sol, la séquestration de carbone, le recyclage des nutriments et la résistance des écosystèmes aux perturbations et aux changements environnementaux ;
* elle procure aux sociétés humaines des opportunités de s'adapter à des circonstances et à des besoins en changement constant, ainsi que de découvrir de nouveaux produits et de nouvelles technologies.
2. La biodiversité est en cours d'érosion irréversible par les activités humaines
Le rythme auquel les hommes altèrent leur environnement, l'ampleur de ces altérations et leurs conséquences sur la distribution et l'abondance des espèces, des écosystèmes et de la variabilité génétique sont sans précédent dans l'histoire humaine et constituent une menace importante pour le développement durable et la qualité de la vie.
Les espèces s'éteignent actuellement dans le monde à un rythme qui est estimé être environ 100 fois supérieur au taux moyen observé dans l'histoire de la Terre, et des dizaines de milliers d'autres espèces sont d'ores et déjà condamnées à une extinction future à cause de la destruction récente de leurs habitats.
Une perte de biodiversité massive est essentiellement irréversible : les données paléontologiques indiquent, en effet, qu'il faut grosso modo 10 millions d'années pour retrouver le niveau antérieur de diversité spécifique après une période d'extinction de masse, et la biodiversité nouvelle diffère souvent fortement de l'ancienne.
Les causes primaires de l'érosion de la biodiversité sont des facteurs de nature démographique, économiques et institutionnels, notamment une demande croissante de terres et de ressources biologiques suite à l'accroissement de la population humaine et à l'extension des activités économiques, associés à l'incapacité des personnes et des marchés économiques à prendre en compte les conséquences à long terme des changements environnementaux et l'ensemble des valeurs de la biodiversité.
Ces causes se manifestent par la perte, la fragmentation et la dégradation des habitats, par la surexploitation des ressources biologiques, par l'introduction d'espèces exotiques, par la pollution du sol, de l'eau et de l'atmosphère, et, plus récemment, par les signes d'un changement à long terme du climat.
3. Un effort majeur est nécessaire pour comprendre, conserver et utiliser durablement la biodiversité
Si des actions fortes ne sont pas prises aujourd'hui pour comprendre et protéger la biodiversité, nous perdrons à jamais l'opportunité de récolter l'ensemble de ses bénéfices potentiels pour l'humanité. La plus grande partie de la biodiversité qui nous entoure sur notre planète, ses changements actuels, beaucoup de ses impacts sur les processus et services écologiques dont nous dépendons et nombre de ses utilisations potentielles sont encore inconnus de la science. Les écosystèmes qui abritent la biodiversité la plus grande sont encore peu compris car ils constituent des ensembles très complexes d'espèces et d'interactions avec l'environnement physique. L'extension des connaissances scientifiques de la biodiversité requiert un effort majeur et coordonné à l'échelle internationale. Cet effort peut s'appuyer, notamment, sur des avancées technologiques qui offrent des possibilités inédites d'exploration et d'identification des organismes vivants.
La conservation et l'utilisation durable de la biodiversité doivent devenir partie intégrante du développement social et économique en corrigeant les lacunes passées des politiques et des marchés. Des cadres sociaux, économiques, institutionnels et légaux innovants sont nécessaires pour développer des systèmes de gestion plus écologiques qui prennent en compte les multiples valeurs de la biodiversité et pour garantir que la conservation et l'utilisation durable des ressources naturelles soient intégrées avec succès dans les prises de décision publiques et privées. Des technologies nouvelles de production et de consommation sont indispensables pour que le développement économique et la réduction de la pauvreté favorisent la préservation à long terme des ressources vivantes et des écosystèmes.
Les grandes lignes du constat que nous dressons étaient déjà connues il y a 13 ans lors du Sommet de Rio, et les connaissances scientifiques accumulées depuis lors les ont amplement confirmées. Or, les menaces qui pèsent sur la biodiversité se sont aggravées sans qu'un effort conséquent ait été fait pour y répondre.
Nous lançons donc un appel urgent aux gouvernements, aux décideurs politiques et aux citoyens pour que soient enfin prises les actions nécessaires pour développer les connaissances scientifiques et assurer la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité. La biodiversité doit être intégrée sans délai, sur base des connaissances existantes, dans les critères pris en compte dans toutes les décisions économiques et politiques et la gestion de l'environnement. L'éducation et l'information des citoyens doivent être améliorées pour atteindre ces objectifs. Des programmes de recherche ambitieux doivent être mis sur pied pour connaître et prédire l'état et l'évolution de la biodiversité, les causes et les conséquences écologiques, économiques et sociales de son érosion et les moyens d'assurer sa conservation et son utilisation durable.
Nous demandons qu'en complément des mécanismes internationaux existants, soit établi rapidement un mécanisme intergouvernemental ayant pour objectifs :
* de synthétiser les connaissances scientifiques sur tous les aspects de la biodiversité ;
* de fournir une information fiable et scientifiquement validée ;
* d'alerter les décideurs publics et privés des menaces émergentes pour la biodiversité, en appui aux négociations intergouvernementales, en particulier celles qui se déroulent dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique.
Lundi 24 janvier 2005
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