Mediaterre

   

Thématique du mois d'octobre 2006 : COMMERCE et DEVELOPPEMENT DURABLE


Éditorial de la thématique du mois d"octobre 2006 : COMMERCE et DEVELOPPEMENT DURABLE par Irène MESTRE

Quel Commerce Durable entre le Nord et le Sud ?

INTRODUCTION

On assiste de manière paradoxale à une hausse d’intérêt pour le développement durable alors que le capitalisme semble plus féroce que jamais notamment à travers un individualisme exacerbé.
Le développement durable s'oriente sur les trois dimensions essentielles de la société, c'est à dire : l'efficience économique, l'équité sociale et le respect de l'environnement. Ces trois grands axes théoriques ont des applications concrètes qui interagissent les unes sur les autres. Ainsi, alors qu'on accorde une grande place au domaine environnemental, on a tendance à sous estimer l'impact de la vie économique sur le développement durable.
De plus, depuis l’appel des pays du Sud dans les années 70, qui demandent pour leur développement : « du commerce pas de la charité » une nouvelle vision des échanges.
Récemment, les médias ont largement traité de l’échec du cycle de Doha, également appelé cycle du développement, qui devait réduire les droits de douanes et les subventions agricoles des pays riches en faveur des pays pauvres. Cependant en dehors de ces accords qui concernent la macroéconomie, on observe une plus grande implication des personnes en tant que telles.
En effet, face au réchauffement climatique et face à 1,2 milliard de personnes qui vivent avec moins d’un dollar par jour, chacun reconsidère son comportement non seulement en tant que spectateur, mais aussi en tant qu’acteur de sa planète. De plus en plus, on met l’accent sur l’addition des initiatives personnelles en plus de l’action des nations et des multinationales.
Ainsi la vision de l’économique au niveau des ménages évolue et l’on tend de plus en plus à accepter qu’en plus du rôle économique de l’entreprise celle-ci a également un rôle social et environnemental vis-à-vis de la société dans laquelle elle opère. Et que le consommateur peut ainsi exercer entièrement son « pouvoir » d’achat en choisissant des produits plus socialement et « environnementalement » responsables.

Tout d’abord, il s’agirait donc de définir les impacts réels, calculables ou non, des entreprises ; en particulier dans le cadre des échanges mondialisés qui créent un fort déséquilibre entre pays du Sud producteurs et pays du Nord consommateurs. On peut ainsi réfléchir aux conséquences d’une économie mondialisée qui, pour obéir aux lois du marché, favorise la production délocalisée sans tenir compte d’un grand nombre d’externalités.

Ensuite, on pourra s’interroger sur une marque répandue mais contestée : Max Havelaar, qui commercialise, entre autre dans les grandes surfaces, une version de ce que peut être le commerce équitable. Les principales interrogations portent sur l’aspect économique : sur quelles bases construire un prix juste ? Pour qui ?... Mais aussi sur les problèmes de la gouvernance et de l’environnement.

Enfin, il semble indispensable de réfléchir aux alternatives pour un commerce durable. Si la notion de prix juste est effectivement discutable, pourquoi ne pas envisager la mise en place de normes qui engagent la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et de toutes leurs filières. Le capitalisme est-il la seule issue ?

I. Impacts des échanges commerciaux Nord-Sud

Aujourd’hui, la conséquence directe de l’ouverture des marchés à l’échelle mondiale, est une forte dépendance des pays du Sud, producteurs de matières premières, face aux pays du Nord, qui les achètent et les transforment. Pour satisfaire la demande de matière à très bon marché, on sacrifie souvent les droits élémentaires de la main d’œuvre et de l’environnement. Par exemple, inconsciemment par ses achats chacun a une action déterminante sur l'environnement. Chaque produit importé (surtout fruits et légumes) représente une perte importante du capital en eau de pays qui souffrent déjà du manque! Les cultures d'exportation constituent effectivement une telle part des revenus que l'eau qui devrait être à la disposition des populations est utilisée pour l'arrosage (souvent peu efficace) des terres. De même, le transport de ces marchandises entraîne une consommation de pétrole excessive (ce transport est la part la plus importante du prix payé par le consommateur). Cela entraîne une pollution à long terme particulièrement forte dans les pays du Sud mais qui se diffuse sur toute la planète. On peut ajouter à ces points négatifs les quantités importantes de pesticides employés pour ces cultures étant donné que les pays du Sud ne bénéficient pas de la même réglementation. Ces pesticides peuvent provoquer des troubles de la santé chez les populations qui travaillent sur ces terres, une perte de biodiversité et une baisse irrémédiable de la fertilité des terrains. De plus, pour acheter les pesticides certains petits producteurs vont jusqu’à s’endetter auprès des multinationales.
De même, pour répondre à la demande toujours plus forte beaucoup de petits producteurs ont recours à des Organismes Génétiquement Modifiés, dont les semences doivent être achetées tous les ans ; cela crée une forte dépendance économique. On a aussi observé récemment que l’évolution de la production vivrière (mélange de plusieurs espèces) vers une production uniformisée (une seule espèce) peut être fatale lors de maladies particulières ou de conditions climatiques extraordinaires. En effet grâce à la diversification relative des plantations les producteurs avaient peu de chances de voir toute leur récolte décimée, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
On peut également lancer là-bas les débats auxquels les pays du Nord ne viennent pas à bout : OGM, quelles conséquences sur la santé ? OGM, quel contrôle de la dissémination dans la nature?

II. Le Commerce Equitable : Info ou Intox ?

En 1988, deux missionnaires Hollandais, Nico Roozeen et Frans Van Der Hoff, ont crée Max Havelaar. La première mission consiste à mieux connaître les différents aspects de la vie des Indiens des montagnes : les conditions de vie, les traditions, la religion... Cette initiative était financée par les églises hollandaises. Max Havelaar ne vend ni achète aucun produit, il s’agit uniquement de mettre en relation les petits producteurs du Sud avec les industriels du Nord. L’association qui commercialise la marque est rapidement appelée « label » alors que de nombreux détracteurs mettent en avant le manque de contrôles. Le principe du commerce équitable selon Max Havelaar est simple, il s’agit pour le consommateur du Nord de payer un produit (principalement le café) au dessus des prix du marché pour permettre aux petits producteurs un revenu convenable. Max Havelaar a par la suite créé des partenariats avec des géants de la grande distribution. Cela lui permet de sortir de l’anonymat et fait naître d’autres initiatives (Carrefour commercialise ainsi du thé équitable sous sa propre marque). Si certains approuvent ce geste qui peut amener les gens du Nord à s’interroger sur les conditions de production de leurs produits quotidiens, d’autres redoutent à l’inverse l’effet « bonne conscience ». Un paquet de café étiqueté équitable au dessus de l’énorme caddie « pas du tout équitable ».
Les prix pratiqués par Max Havelaar permettent aux producteurs de gagner environs 4 Euro de plus que les producteurs non affiliés par mois lorsque le marché ne connaît pas de crise majeure. De plus ce coût supplémentaire est entièrement supporté par le consommateur en fin de chaîne. En effet les intermédiaires ne réduisent pas du tout leurs marges. Des opposants de Max Havelaar soulignent aussi que ceux que l’on appelle ici « petits producteurs » sont dans les pays du Sud relativement aisés, ce ne sont pas les plus pauvres qui possèdent des plantations de café ou de cacaotiers. D’autant plus que la certification semblant incertaine, on peut redouter l’exploitation des sans-terres par les « petits producteurs ».
Il existe aussi un amalgame courant chez le consommateur qui pense souvent que commerce équitable rime avec produits bio, ce qui n’est pas automatique. De même il n’y a pas à proprement parler de politique de réduction des emballages et comme pour tous les échanges Nord-Sud, l’impact écologique du transport est très important.
D’autres interrogations se posent encore : Max Havelaar prône l’équité mais quelle représentation des petits producteurs dans ses décisions ? Peut-on continuer de promouvoir ces échanges alors que la plupart des producteurs de cacao n’ont encore jamais goûté le chocolat ?
Beaucoup d’oppositions auxquelles on répond souvent : « peut être mais c’est mieux que rien… »


III. Quel commerce durable pour l’avenir ?

Plusieurs labels se sont démarqués de la définition du commerce équitable de Max Havelaar, notamment dans le secteur de l’artisanat ou de l’industrie textile. Ainsi, certaines organisations ne s’attachent plus uniquement au prix mais garantissent également le respect des droits des travailleurs. En achetant ces produits certifiés le consommateur sait qu’aucun enfant n’a travaillé à la confection du produit, que les ouvriers bénéficient d’un droit de grève et que leur temps de travail est réglementé.
D’autres plus radicaux, prônent une relocalisation de l’économie. Ainsi, les pays du Sud en difficultés devraient devenir indépendants des marchés internationaux et privilégier les cultures vivrières et traditionnelles. Quant aux pays du Nord, cette évolution de l’économie leur serait également profitable. Dans une société où l’individualisme devient un vrai problème, le contact direct avec le producteur et les autres consommateurs, au travers d’une approche nouvelle et plus écologiste, séduit un grand nombre de personne. La proximité géographique permet, en plus d’un engagement du producteur, un contrôle personnel sur le mode de production biologique et sur les conditions de travail. De plus le consommateur s’engage à le soutenir en cas de mauvaise récolte. Ce modèle ne vise pas à remplacer les structures existantes, mais se définit plutôt comme une avancée vers un commerce plus respectueux de l’homme et de l’environnement.
Enfin, le système capitaliste dans sa globalité est contesté par ceux qui ne voient l’avenir du développement durable qu’à travers une décroissance intelligente (plus de recherche, moins de production) ou un passage à l’économie post-capitaliste où il s’agirait de dématérialiser le capital et de resituer l’humain au centre des valeurs essentielles.
Partagez
Donnez votre avis

Conception & Réalisation : CIRIDD - © 2002-2024 Médiaterre V4.0