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MDP et coopération décentralisée


Liaison Énergie-Francophonie numéro 77 : Coopération décentralisée et développement durable

Ali AGOUMI est Professeur à l’École Hassania des Travaux Publics, Casablanca, Maroc. Il est Expert international en matière de CC/MDP, Représentant d’EcoSecurities au Maghreb et Animateur des Nouvelles Francophones du MDP.

L’un des mécanismes de flexibilité mis en place par le Protocole de Kyoto (PK) dans le cadre de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) est le Mécanisme pour un Développement Propre (MDP). Le MDP a été conçu avec deux autres mécanismes dans le but d’aider les pays industrialisés à tenir leurs engagements pris de réduire leurs émissions en gaz à effet de serre (GES) en 2008-2012 à un niveau inférieur de 5,2 % à celui de 1990. Depuis l’an 2000, des projets MDP ont été lancés. L’activité MDP est restée toutefois lente pendant les premières années. Elle s’est considérablement accélérée à partir de février 2005 avec l’entrée en vigueur du PK.

MDP : un concept attrayant de coopération

Le MDP permet de promouvoir, avec l’appui de pays industrialisés engagés dans le PK, la réalisation dans les pays en développement de projets de développement propre qui impliquent une réduction des émissions en GES. Les crédits carbones résultant de tels projets pourraient être utilisés par les acteurs économiques de pays industrialisés ayant contribué financièrement à ces projets pour tenir leurs engagements dans ce domaine.

Avec le MDP, les pays en développement bénéficient d’appuis financiers et de transferts de technologies qui leur permettent de mettre en oeuvre des projets de développement propre. Les pays industrialisés ont eux la possibilité, grâce au MDP, de tenir une partie de leurs engagements à moindre coût.

Les crédits carbone dégagés par les projets MDP sont des Unités de Réduction Certifiées des Émissions (URCE). Leur émission suit un processus complexe et long : méthodologies pour le calcul des émissions réduites, validation, enregistrement, vérification, certification… Ce processus est supervisé et garanti par un conseil MDP relevant des Nations Unies : le Conseil Exécutif du MDP (CE MDP).

MDP : Une coopération décentralisée et directe « Gagnant-Gagnant »

Le MDP est avant tout une coopération décentralisée entre deux acteurs économiques intéressés par des éléments concrets liés à un projet de développement propre qui entraîne une réduction des émissions en GES :

• Un promoteur de projet situé dans un pays en développement et qui a besoin d’appui matériel
et/ou technologique pour le concrétiser ;
• Un acteur économique situé dans un pays industrialisé engagé à réduire ses émissions en GES et qui cherche dans ce projet MDP des crédits carbone qu’il pourrait avoir à faible coût et dont il pourra se servir au niveau de ses engagements.

Pour que ce promoteur de projet puisse prétendre au MDP, son projet doit nécessairement :

• Conduire à une réduction à long terme nette et mesurable des émissions de GES ;
• Être une participation volontaire et approuvée pour toutes les parties ;
• Être additionnel (non réalisable sans l’appui du MDP) ;
• Être conforme à la politique nationale de développement durable du pays hôte et avoir une lettre du gouvernement de ce pays qui va dans ce sens et qui autorise le projet ;
• Répondre aux critères du conseil exécutif du MDP : validation, enregistrement, monitoring et vérification.

La mise en place d’un projet MDP nécessite des préalables institutionnels qui concernent les deux pays impliqués dans le projet ; le pays hôte et le pays industrialisé auquel appartient l’acheteur des URCE :

• Que les deux pays intervenant dans ce projet aient ratifié le PK ;
• Qu’ils aient mis en place une Autorité Nationale Désignée du MDP (AND MDP) : Organe représentant les gouvernements de chaque pays et qui est en charge du MDP dans ce pays.

Le MDP a connu depuis février 2005, date d’entrée en vigueur du PK, une évolution positive et prometteuse pour l’avenir. On peut le considérer parmi les réalisations de la CCNUCC les plus concrètes et tangibles où tant les pays industrialisés que les pays en développement ont collaboré dans le cadre d’une coopération décentralisée.

MDP : une coopération avec moins de politique et plus d’affaires…

Le MDP se présente en réalité comme une transaction commerciale entre deux acteurs économiques : l’un situé dans un pays en développement, et l’autre situé dans un pays industrialisé. L’action des gouvernements dans ce cas-là est limitée. Il s’agit principalement d’une action de régulation :

• L’autorité nationale du MDP du pays hôte en développement doit certifier que le projet est conforme à sa politique nationale en matière de DD et autoriser sa mise en oeuvre ;
• L’AND du pays industrialisée doit autoriser l’utilisation par l’acheteur des crédits carbone pouvant résulter de ce projet dans ses engagements.

La coopération est ici directe et décentralisée. Elle va de la conception du projet, sa préparation, sa présentation pour enregistrement par le CE MDP à l’émission des URCE et leur remise à l’acheteur.
Aussi, le MDP est à la base une coopération bilatérale. On parle ainsi de MDP bilatéral.

En réalité, et tenant compte de la nature de ce mécanisme et des risques qu’il intègre à tous les stades de développement MDP des projets, ce MDP a donné lieu, dès les premières années, au MDP unilatéral et surtout à des intermédiaires et ainsi à un marché du carbone et du MDP :

• Le MDP unilatéral est celui où le promoteur du projet franchit seul les différentes étapes MDP de montage du projet pour arriver à l’émission des URCE. Ce promoteur va par la suite chercher un acheteur des URCE. Le prix de vente est alors élevé, le risque étant limité. L’URCE pourrait être autour des 16 euros ici alors que si la vente des URCE est faite au début du processus en bilatéral le prix pourrait ne pas dépasser les 7 euros !
• Le risque de non-enregistrement du projet par le CE MDP, le risque du pays en développement hôte du projet… Ce sont ces risques qui ont amené au MDP des intermédiaires. Ces derniers achètent à faible coût des URCE de projets à risque, accompagnent ces projets vers l’enregistrement et l’émission des URCE puis revendent ces URCE à prix élevés.

Ainsi et de façon progressive cette Coopération décentralisée MDP a pu créer et entraîner différents types d’acteurs financiers. On a vu naître diverses sociétés de carbone, différents fonds étatiques et privés spécialisés dans le carbone mais aussi différentes bourses de carbone en Europe, en Asie et aux États-Unis… !

L’investissement dans les projets de réduction des émissions en GES a commencé au début des années 1990, après la signature de la CCNUCC au Sommet de Rio en 1992. Ces investissements ont été volontaires au début, car il n’existait pas encore d’engagements contraignants de réduction d’émissions. C’est après 2005, date de l’entrée en vigueur du PK, que le marché s’est emballé.

Selon la Banque mondiale, le marché du carbone a atteint en 2006 les 30 milliards de dollars. Le marché européen y représente la plus grande part, soit 25 milliards de dollars. Le marché a triplé sa valeur entre 2005 et 2006. Le marché des crédits carbone relevant du PK a doublé entre 2005 et 2006 et a dépassé en 2006 les 5 milliards de dollars avec principalement des URCE de projets MDP. Le marché mondial du carbone pourrait atteindre les 100 milliards de dollars si les engagements nécessaires en vue de limiter le réchauffement à 2 degrés sont pris et si le recours aux mécanismes de flexibilité est facilité selon la Banque mondiale.

MDP : transfert de technologies et développement durable

Dans le cadre du MDP de nouvelles technologies de secteurs comme l’éolien, le solaire, l’efficacité énergétique dans l’industrie arrivent progressivement dans les pays en développement. Le transfert de technologies Nord-Sud est ici plus facile à réaliser car les pays du Nord ont un retour concret : des URCE. On voit donc ce transfert de technologies, qui a tant traîné lors des négociations depuis 1992, trouver une partie de son chemin dans le cadre du MDP. Dans ce contexte, les différents acteurs sont intéressés car ils y trouvent leur compte. Ce n’est plus un transfert de technologies visant à limiter l’écart de développement Nord-Sud et où les gouvernements n’arrivent à rien donner car tout appartient au secteur privé. Ici, ce sont ceux qui ont la technologie qui négocient et qui la donnent pour avoir des crédits carbone !

Le MDP est aussi venu favoriser et promouvoir d’une certaine façon le transfert de technologies Sud-Sud, et ce, encore une fois de façon décentralisée. En effet, dans différents secteurs, le montage de projets MDP utilisant des technologies de pointe dans des pays du Sud a fait connaître ces technologies et a facilité leur utilisation dans d’autres pays du Sud. Cela se fait beaucoup à travers des sociétés de carbone qui travaillent partout dans le monde et qui capitalisent leur réussite MDP dans certaines régions en les dupliquant dans d’autres régions du monde. Et évidemment, les technologies suivent. L’éolien, les lampes à basse consommation, les chauffe-eau solaires, le recours à différents biocombustibles… sont des exemples concrets où le transfert de technologies Sud-Sud fonctionne relativement bien.

Le MDP est un mécanisme qui aide les pays en développement à réaliser des projets de développement propres et durables. En cela, ce mécanisme financier, créé pour faire face à des problèmes d’environnement global, donne des moyens permettant d’améliorer l’environnement local dans ces pays. Il s’agit d’un mécanisme de coopération décentralisée à objectif global avec un impact certain sur l’environnement local.

La conformité du projet MDP avec la politique de développement durable du pays hôte est une exigence fixée par le PK. Le gouvernement de ce pays doit assurer et suivre cet aspect. Les pays en développement se sont dotés, avec plus ou moins de réussite, d’outils pour appréhender cette conformité et valider les projets MDP. Des critères permettant d’évaluer cette conformité ont été conçus et échangés. Ceci s’est fait dans le cadre d’une coopération Sud-Sud qui n’a pas eu besoin d’être orchestrée politiquement. Les critères développés par la Tunisie ont été améliorés et utilisés par la Malaisie puis améliorés et utilisés par… !

MDP : une coopération qui touche différents secteurs et différentes régions

Fin décembre 2007, le portefeuille de projets MDP soumis au CE MDP était de plus de 2 800 projets correspondant à 2,6 milliards de TCO2eq attendues durant la période 2008-2012. Parmi ces projets, 890 projets ont déjà été enregistrés par le CE MDP correspondant à 1,15 milliard de TCO2eq attendues avant 2012. Ces projets associent 50 pays en développement et 20 pays industrialisés. Sur les 50 pays, 23 ont déjà reçu des URCE de projets MDP. À la fin de décembre 2007, 102,5 millions d’URCE avaient été émises par le CE MDP.

Plus de 58 % des projets enregistrés sont situés en Asie et plus de 38 % en Amérique latine. L’Afrique a moins de 3 % des projets enregistrés. Au niveau des URCE devant être dégagées par ces projets – selon les premières estimations – 48,38 % reviennent à la Chine, 15,03 % à l’Inde et 9,26 % au Brésil. Plus de 73 % des URCE reviendraient donc à ces trois pays.

On voit clairement à travers ces chiffres que le MDP est, en gros, un mécanisme qui a donné des résultats probants en Asie et en Amérique du Sud et plus particulièrement au niveau de 5 ou 6 pays : Chine, Inde, Mexique, Brésil et Chili…

Les secteurs où le MDP devrait apporter un soutien, au niveau des projets soumis au CE MDP à ce jour, sont en particulier :

• les énergies renouvelables : éolien, solaire, biomasse ;
• les déchets : gestion des décharges, stations d’épuration, déchets animaliers ;
• l’efficacité énergétique : dans l’industrie et le bâtiment ;
• le changement de procédés industriels ;
• le boisement - reboisement, forêts.

Plus de 53 % des projets enregistrés à la fin de décembre 2007 concernaient l’énergie dans l’industrie, et plus de 20 %, les déchets. Des secteurs comme les transports ou le boisement-reboisement sont restés très en retard avec très peu de projets enregistrés.

MDP : limites et perspectives de cette coopération au-delà de 2012

Le MDP est un mécanisme du PK qui s’est révélé une véritable réussite. Il s’agit d’un levier de coopération qui a permis – en quelques années seulement – au carbone de faire sa place sur le marché financier mondial. L’enjeu carbone des projets est devenu un des éléments de prise de décision. La coopération à l’échelle mondiale a pris une nouvelle dimension avec cette nouvelle donne : le besoin de l’humanité de limiter les émissions en carbone dans l’atmosphère.

Ce MDP commence cependant à montrer ses limites. Elles concernent la gouvernance de ce mécanisme, la répartition géographique des pays profitant du MDP, la limite des secteurs économiques pouvant bénéficier de ce mécanisme, la place limitée donnée au développement durable par le MDP, et surtout son inadaptation – sous sa forme actuelle – au nouveau défi qui attend l’humanité pour l’après-2012 : limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius et pour cela réduire les émissions en GES des pays industrialisés en 2050 de 70 % par rapport à leur niveau de 1990 : 10 fois plus d’efforts de réduction à attendre de ces pays que ce qu’ils ont comme engagements d’ici à 2012 :

• La coopération décentralisée à travers le MDP montre des signes de faiblesse dans sa gouvernance.
Une inertie au niveau du Conseil Exécutif du MDP qui rappelle fortement celle des agences internationales de coopération. La durée nécessaire pour enregistrer un projet s’allonge de plus en plus. Les composantes de ce CN MDP et leurs modes de fonctionnement se trouvent vite débordées. Il y a un besoin réel de rendre ces organes plus efficients avec des moyens humains et matériels adaptés.

• Le MDP est aujourd’hui une coopération Nord-Sud à deux vitesses.
Une coopération qui profite à un cercle réduit de pays en développement : les pays émergents. Le problème de la répartition géographique du MDP se pose de plus en plus avec acuité. Le cas de l’Afrique est frappant avec moins de 3 % de projets enregistrés à ce jour en grande partie par l’Afrique du Sud. Ceci s’explique par la complexité de ce mécanisme et l’incapacité des acteurs économiques africains de l’intégrer en tant que moyen de coopération. Il reste nécessaire et urgent de renforcer les capacités de ces acteurs et de favoriser le MDP dans les pays d’Afrique. Dans ce sens, la décision prise lors de la conférence de Bali en décembre 2007 de ne pas faire payer les 2 % d’adaptation pour les Pays les Moins Avancés est bonne. Elle reste cependant très insuffisante !

• Plusieurs secteurs potentiellement porteurs au niveau de la réduction des émissions en GES sont peu soutenus par le MDP.
Une coopération dans des domaines comme le transport, la forêt et sa préservation pourrait apporter gros tant au niveau des URCE qu’au niveau des impacts sur les populations des pays en développement. Un effort doit être fait pour faciliter ce type de projets et les promouvoir.

• La coopération à travers le MDP valorise très peu le développement durable.
En effet cette coopération est surtout conditionnée par les tonnes de carbone que les projets pourraient éviter. Or, des projets de grande portée pour le développement durable sont souvent très peu rentables au niveau des URCE qu’ils peuvent dégager. C’est le cas par exemple du solaire dont l’impact en Afrique pourrait être très important malgré les URCE très limitées que ses projets dégagent généralement. À l’inverse, des projets HFC ou N2O juteux en matière d’URCE sont peu intéressants côté développement durable. Pour dépasser cette barrière pour l’après-2012, on pourrait imaginer des majorations et des pénalités en URCE selon la performance développement durable des projets, avec la mise en place par le CE MDP d’une sorte de caisse de compensation…

• La complexité du processus de montage de projets MDP avec ses différentes étapes (validation, enregistrement, vérification, émission), ses différents acteurs et ses coûts importants pose problème.
Même si elle est une garantie de la fiabilité du processus et donc une garantie de la valeur de l’URCE, elle devient un véritable handicap pour les projets à faible rendement en URCE et aussi pour les opérateurs économiques ayant des capacités techniques de gestion de leurs projets limitées. C’est le cas en grande partie en Afrique. Des simplifications et des accompagnements particuliers sont à rechercher ici pour l’après-2012. Le MDP programmatique, le MDP sectoriel sont des axes qui nécessitent plus d’appuis dans ce sens. Les coûts de montage des projets MDP sont un autre handicap à lever à travers la mise en place de fonds pour les pays les moins avancés par exemple.

– Le MDP programmatique, le MDP sectoriel sont des axes qui nécessitent plus d’appuis dans ce sens. Ils sont plus adaptés pour accompagner des politiques de développement propre moins émettrices de GES. Et c’est cela qui manque en Afrique par exemple ;

– Une coopération Nord- Sud autour du MDP, entre villes et régions, pourrait aussi permettre de promouvoir ce mécanisme et aider les pays du Sud à mieux profiter de ces financements pour réussir leur développement durable ;

– Les coûts de montage des projets MDP sont un autre handicap à lever. On pourrait dans ce sens mettre en place des fonds pour dispenser de ces coûts les promoteurs de projets MDP dans les pays les moins avancés.

Toutes ces propositions restent limitées et ne permettront guère d’asseoir un MDP susceptible d’accompagner à lui seul l’humanité dans son nouveau défi pour l’après-2012. Il sera nécessaire pour cette nouvelle étape de retenir ce que la coopération décentralisée MDP peut donner. Le consolider et le développer. Il faudra certainement aussi bâtir des axes de coopération centralisée pour avoir une politique mondiale du carbone porteuse et garante d’un climat planétaire stabilisé, et ce, avant qu’il ne soit trop tard !

LIAISON ÉNERGIE-FRANCOPHONIE No 77

[LEF77]
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