Transcription de l'émission du 4 Janvier 2010 " C'est pas du vent " sur RFI - Ibrahim el Ali
http://www.rfi.fr/contenu/20091229-1-le-regard-ibrahim-el-ali-environnement
Arnaud Jouve: Alors vous êtes Libanais, Président fondateur de l'ONG Mawassem Khair, Moissons de la bienfaisance. Vous avez participé au désamorçage de plus de 4000 bombes au Sud Liban avant de vous tourner vers l'action écologique. Et depuis, on vous voit sur tous les fronts de la préservation de la nature au Liban. Qu'il s'agisse de lutter contre la pollution des fleuves ou de la mer, organiser des actions collectives de sensibilisation et de nettoyage ou protéger les forêts libanaises. Ibrahim el Ali, vous avez d'ailleurs récemment créé une nouvelle fondation BlueGreen.
Ibrahim El Ali: Oui effectivement, j'ai créé une nouvelle fondation. Mais je voudrais renouveler mes voeux de bonne année aux auditeurs pour leur souhaiter que cette année soit l'année où le citoyen et les populations seront prises en compte. Le thème essentiel de l'environnement, c'est quand même la vie. S'il y a un mot qui symbolise l'environnement, c'est la vie. La capacité de boire de l'eau potable, de respirer de l'air pure, ça appartient à tout le monde. Il faut redonner la dimension au citoyen dans l'environnement.
Arnaud Jouve: Comment est née cette passion, cet intérêt pour ces questions?
Ibrahim El Ali: En réalité, j'ai été initié par mon grand frère Haidar El Ali au Sénégal en l'accompagnant souvent. Mais quand je suis arrivé au Liban, j'ai vu une terre remplie de biodiversité dans un si petit espace et cet engagement s'est alors amplifié... surtout en voyant que les citoyens étaient complètement démunis devant les problèmes d'environnement.
Vous m'avez présenté en disant que j'ai dépollué plus de 4000 bombes au Liban, mais c'est parce que j'ai su mobiliser les citoyens, les municipalités, les guides et mélanger tout cela avec la capacité de la FINUL à faire du déminage. On a mis le tout ensemble et on a pu déminer 4000 bombes en 7 mois.
Et c'est là le secret pour réussir le défi de l'environnement, c'est de mettre à contribution la valeur des citoyens.
Regardez dans votre émission, combien d'experts sont-ils passés au cours de cette année? Pourtant, on se rend compte que c'est comme si le système était sclérosé. On sait tous mais on ne met pas à contribution le citoyen et les capacités de nos experts. C'est là le véritable problème et c'est pourquoi on ne s'en sort pas.
Arnaud Jouve: Vous venez de mettre en place une nouvelle fondation BlueGreen. Expliquez-nous en quelques mots de quoi il s'agit.
Ibrahim El Ali: BlueGreen... On est à peu près une trentaine de membres, tous des experts en environnement dont une moitié vient des pays de la rive Sud de la Méditerranée et l'autre moitié vient des pays du Nord. Donc l'idée que j'avais était de faire partager au monde entier les points de vue du Sud avec des expertises de gens très qualifiés, et de les proposer. Voilà l'idée essentielle de BlueGreen.
Arnaud Jouve: Je vous propose, comme c'est le jeu de cette première partie de notre magazine, de revenir à l'actualité internationale de l'environnement. Avec pour commencer, ce message du pape Benoît XVI qui a appelé vendredi au respect de l'autre quelque soit sa couleur de peau, sa nationalité, sa langue et sa religion. Et il a réitéré un message rendu public début décembre pour qu'il soit lu dans toutes les paroisses le 1er janvier et qui stipule: "Si tu veux cultiver la paix, préserve ce qui a été créé". Le pape y prône "une écologie humaine car il y a un lien étroit entre le respect de l'homme et la sauvegarde de ce qu'il a créé. Si l'homme s'avilit, il dégrade son environnement", a souligné le pape.
Pour éviter une telle dérive, Benoît XVI a appelé à investir dans l'éducation avec l'objectif non seulement de transmettre des notions technico-scientifiques mais aussi une responsabilité écologique plus large et approfondie basée sur le respect de l'homme et des droits et des devoirs fondamentaux. Au moment de l'Angélus, le pape est revenu sur ce sujet en estimant que "nous sommes tous responsables de la protection de l'environnement" et il a appelé à un changement des mentalités au niveau de chacune des administrations locales.
Ibrahim El Ali, nous recevions vendredi un maître bouddhiste qui, finalement, disait un peu près la même chose par d'autres chemins. C'est d'ailleurs un point central des discussions interreligieuses... et même pour les politiques qui conviennent de toutes ces questions sur le fond mais malheureusement, pas dans les actes comme on a vu à Copenhague.
Ibrahim el Ali: Je ne voudrais pas aborder le sujet dans un aspect religieux. Mais je veux rappeler juste aux auditeurs que toutes les religions, toutes les spiritualités - on a Noé qui est le premier exemple avec son arche - toutes les religions ont prôné le respect de l'environnement.
Cette Terre qui nous a été donnée, cette terre qu'on a le devoir de préserver... si on n'est pas capable de la préserver, ce petit paradis qui est entre nos mains. Vous imaginez qu'à 10 Kms au-dessus de notre tête on n'a plus la capacité de respirer, ça vous donne un peu la dimension de la valeur de la Terre. (Il est étonnant de remarquer que les montagnes ne montent pas plus loin que l'homme puisse respirer)
Si on n'est pas capable de préserver cette Terre, comment peut-on avoir le droit d'accéder au Paradis... si ce petit jardin on ne le protège pas, comment voulez-vous qu'on accède au grand jardin?
Je ne veux pas aborder la notion de religion dans cette émission. Ce à quoi je voudrais redonner son importance, c'est le respect... et il commence par la capacité pour le paysan Africain de pouvoir se nourrir, vivre, nourrir ses enfants. Ils seront bientôt 2 milliards d'habitants en Afrique. Si dès maintenant, cette richesse qu'est la terre, on n'arrive pas à la partager, eh bien on partagera son désastre.
Il faut donner au citoyen africain la capacité de mettre en place tout son système de développement. Le secret, c'est le citoyen! On l'a bien vu au Liban quand on a fait cette campagne de nettoyage de la forêt de Bkassine avec 80 enfants. On a travaillé avec ces enfants, on a nettoyé, on a reboisé des arbres à pins. On a mis ça sur Facebook, sur des sites Internet, on a fait la promotion... ces mêmes enfants vont en parler à leurs parents. C'est ce mécanisme là qui fait que le citoyen est acteur de son demain.
Arnaud Jouve: C'est maintenant l'heure de se pencher sur l'actualité environnementale d'une partie du monde et comme tous les lundis, direction l'Afrique. Et l'Afrique, c'est avec Zéphyrin Kouadio.
Aujourd'hui, vous nous invitez au Congo Brazzaville pour voir comment on prépare les enfants à la protection des gorilles et des grands singes.
Zéphyrin Kouadio: Oui, c'est un programme lancé par des organisations non gouvernementales (ONG) à destination des écoliers du Congo Brazzaville où vivent actuellement près de 800 gorilles. Des animaux qui sont aujourd'hui menacés par les braconniers et les populations riveraines des régions protégées... des populations qui les chassent aussi pour se nourrir. Pour lutter contre ce phénomène, les ONGs ont donc pris l'initiative de lancer ce programme de sensibilisation dont l'objectif vise le long terme puisque ce sont les enfants qui sont au coeur du dispositif.
Arnaud Jouve: Ibrahim el Ali, l'éducation c'est le point de départ.
Ibrahim El Ali: oui, l'éducation c'est le point de départ. Mais je veux juste faire un clin d'oeil quand vous parlez des enfants à Brazzaville qui suivent ces ateliers. Il ne faut pas oublier qu'il y a des enfants soldats qui sont en pleine forêt, ensemble et seuls en même temps, confrontés à ces animaux sauvages, et toute la peur. Et c'est un véritable problème qu'il faut aborder.
L'éducation, c'est la base effectivement. Mais le plus important, c'est que toutes les ONGs puisent la force sur les citoyens.
Je vous donne un exemple. A Copenhague, les Nations Unies n'ont pas réussi à régler le problème des objectifs du millénaire. Avant cela, l'objectif était d'éliminer la faim dans le monde en 2015, or on voit bien que c'est irréalisable. Donc, ce ne sont pas eux qui vont pouvoir régler le problème de l'environnement. Qui va être capable de régler le problème de l'environnement? C'est le citoyen!
Et maintenant que les réseaux Internet sont développés, cela peut permettre aux ONGs de revenir vers le citoyen et non de regarder seulement vers les gouvernements et les financements. Donc, il faut revenir vers les citoyens pour les mobiliser. Vous imaginez qu'il y a des ONGs qui ont plus de 200 000 membres, c'est-à-dire qu'elles sont plus importantes que le premier parti français. Donc, ces gens en mobilisant leurs membres sont capables de produire un changement. C'est ça la solution, il n'y en a pas d'autre.
Arnaud Jouve: On l'a vu d'ailleurs lors de la convention climat... la pression de toutes ces organisations, cette société civile qui a exercé une pression permanente sur cette convention.
Ibrahim El Ali: Mais ici, c'est comme si cette pression des ONGs à Copenhague avait la complicité des gouvernements. Donc, il y a quelque chose qui a été accepté. Mais la réalité, c'est qu'il faut revenir vers la population.
Si avec tous nos réseaux, nous sommes 1 million de gens et qu'on décide de ne pas acheter un produit au supermarché, l'industriel ne le fabriquera certainement plus. Ce n'est pas moi qui l'ai dit. C'est Coluche qui a dit que si on n'achetait plus les produits, l'industriel ne le fabriquerait plus.
Maintenant qu'Internet est là et qu'il y a des réseaux puissants qui se mettent en place, il faut qu'on organise un contre-pouvoir pour qu'on puisse avoir le droit. Ici en France, on parle d'un droit non opposable au logement. Franchement, il y a un droit non opposable à l'eau potable, un droit non opposable à vivre tout simplement. Et on n'empêchera pas ces 2 milliards d'Africains de venir en Europe si jamais on ne leur permet pas d'avoir un développement durable chez eux.
Arnaud Jouve: Zéphyrin Kouadio, les autorités congolaises ont de leur côté pris une série de mesures pour protéger les grands singes.
Zéphyrin Kouadio: oui absolument. Depuis novembre 2008, une loi sur la protection de la faune et des aires protégées a été adoptée par le gouvernement du Congo-Brazzaville. Ainsi toute personne prise avec un gorille risque une peine d'emprisonnement et jusqu'à 10 000 dollars d'amende. Des affiches sur les marchés, dans les gares ferro-routières et dans les aéroports sont là pour rappeler la loi aux potentiels contrevenants. Et puis parallèlement, les autorités développent un projet de réintroduction des gorilles dans le sanctuaire de Lesio Luna, situé à plus de 100 kms de Brazzaville. Et dans cette réserve de 170 000 hectares, vivent aujourd'hui des centaines de gorilles. Il faut enfin rappeler que le Congo-Brazzaville abrite 10% des forets du bassin du Congo, 2ème poumon vert de la planète après la forêt amazonienne. Ces forêts constituent le principal habitat des gorilles et chimpanzés. Il faut noter à la fin que la déforestation est d'ailleurs l'une des menaces qui pèse également sur ces animaux.
Arnaud Jouve: Ibrahim El Ali, la protection des forets, la biodiversité qu'elles abritent, ce sont des sujets qui vous parlent.
Ibrahim El Ali: Un mot sur cette histoire. Ce ne seront jamais des interdictions en Afrique qui vont faire marcher les choses. Pourquoi? Parce que le père qui verra ses enfants mourir de faim va tuer le gorille et le manger. Ou bien le prendre en otage et demander à des blancs de pouvoir avoir de l'argent et nourrir ses enfants. Et il en a tout à fait le droit.
Dans les mécanismes qui ont été mis en place à Kyoto, on parle du MDP, le mécanisme pour un développement propre qui représente une solution. Il s'agit de faire participer les grandes entreprises. J'avais parlé du citoyen, mais il faut aussi remonter avec les villes, les collectivités et... les entreprises qui voient maintenant avec cet effet des citoyens très actifs, des possibilités de projets à développer.
Dans ces zones-là, on pourrait faire de l'écotourisme. Les populations locales pourraient vivre de cela et n'auraient plus besoin de manger du gorille, ni de les tuer, ni de les emprisonner.
Arnaud Jouve: Une des grandes solutions préconisées à Copenhague et qui, pour l'instant, n'a pas été entérinée par un accord définitif. Merci Zéphyrin Kouadio.
Alors Ibrahim El Ali, comment se présente cette année 2010 au Liban, quelles sont les actions sur lesquelles vous allez concentrer votre travail?
Ibrahim El Ali: J'ai fait pas mal d'actions au Liban, en campagne de sensibilisation à travers une campagne "Le Liban n'est pas une poubelle". Je fais beaucoup de travail avec les municipalités pour le problème des déchets physiques, le traitement des eaux usées. Je reviens à travailler avec les municipalités et les populations.
Mais cette année, je vais mettre l'accent sur la fondation que j'ai créée, BlueGreen, avec beaucoup d'experts en environnement... qu'ils soient de la rive sud de la Méditerranée, qu'ils soient de la rive Nord également. On essaie de partager des projets ensemble, de les proposer, d'aider les municipalités à les développer... par exemple encourager une agriculture sèche, avec le reboisement d'oliviers sur tout le pourtour sud de la Méditerranée. Voilà le type de projet qu'on souhaite mettre en place.
Arnaud Jouve: Vous allez travailler sur la biodiversité, c'est d'ailleurs l'année de la biodiversité. Il y a une perte importante au Liban.
Ibrahim El Ali: Au Liban, comme dans toute la Méditerranée, on a un phénomène... c'est la disparition des abeilles qui sont la sentinelle de l'environnement. Et en ce moment, le ministre de l'agriculture ici est entrain de permettre la mise en place du Cruiser alors que l'UNAF (Union nationale de l'apiculture française) le dénonce depuis longtemps. Et on sait que c'est une véritable catastrophe pour les abeilles qui sont les pollinisateurs par excellence.
Si c'est l'année de la biodiversité, commençons par interdire les produits qui tuent nos abeilles tout de même.
Arnaud Jouve: On dit qu'au Liban, il y a plus de cèdres aujourd'hui sur les drapeaux que dans le pays. Le Liban a quand même été très abîmé par la guerre. Aujourd'hui, dans quel état est le pays?
Ibrahim El Ali: J'ai fait une tournée au Liban avec Alain Fridlender qui est professeur à l'université de Marseille et qui est un grand botaniste.
Le cèdre n'est pas l'unique arbre du Liban. Il y a des chênes, on a toute une multitude d'arbres.
Arnaud Jouve: C'est un symbole.
Ibrahim el Ali: C'est un symbole. On laisse le symbole pour les hautes montagnes et on fait une campagne de reboisement pour toutes les autres espèces.
Le gouvernement libanais mène une campagne pour reboiser du pin, mais le pin n'est pas l'arbre par excellence pour la biodiversité. C'est plutôt le chêne et il est très facile à reboiser au Liban.
Arnaud Jouve: Merci Ibrahim el Ali et à très bientôt sur "C'est pas du Vent".
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