Le Président de la République du Niger a effectué, dans le cadre de la préparation du Forum Francophone de Lyon préparatoire à Rio +20, une visite à l'Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Étienne, dont il est diplômé.
Au terme de la présentation des restitutions des travaux des ateliers qui se sont déroulés la veille à Saint-Etienne, le Président de la République du Niger a prononcé le discours suivant :
" Monsieur le Maire de la ville de Saint-Etienne,
Monsieur le directeur de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne, président de la Commission Développement de la Conférence des Grandes Ecoles,
Monsieur Bilodagh, Délégué au Développement Durable,
Monsieur le président du Centre International de Ressources et d'Innovation sur le Développement Durable
Mesdames et Messieurs les élus des collectivités,
Mes chers jeunes collègues élèves de l'Ecole des Mines,
Mesdames et Messieurs,
En 1979, il y a de cela trente trois ans, je quittais l'école des mines de Saint-Etienne. Depuis, je n'y avais plus remis les pieds. J'étais loin d'imaginer que j'y reviendrai en qualité de Président de la République de mon pays, le Niger. Vous imaginez aisément la joie que j'ai éprouvée en visitant, il y a quelques instants, cette Grande Ecole, qui m'a tant donné et que je suis fier d'avoir fréquenté. C'est avec la même joie que je prends la parole pour conclure les travaux des ateliers sur le financement, l'innovation, l'information, l'éco-conception, les compétences dans la perspective de l'économie verte et du développement durable. Qu'il me soit donc permis de remercier le maire de Saint-Etienne, Monsieur Maurice Vincent et les organisateurs de ces ateliers qui m'ont donné l'occasion d'être à cette tribune. Je voudrais remercier tout particulièrement Monsieur Philippe Jamet, Directeur de l'école des mines, Président de la Commission Développement Durable de la Conférence des Grandes Ecoles et lui dire combien l'épée qu'il m'a offert, symbole de mon école, constitue pour moi un cadeau inoubliable. Je remercie aussi Monsieur Jean Philippe Terme, Président du Centre International de Ressource et d'Innovation sur le développement durable. Je salue et remercie également mes jeunes collègues, élèves de l'école des mines dont l'accueil, en uniformes, avec haie d'honneur, m'a profondément touché.
A travers vous, chers jeunes collègues, je voudrais rendre hommage à toutes les générations d'élèves qui sont passées à Saint-Etienne. Je suis convaincu, chers jeunes collègues, que vous avez devant vous, un bel avenir et je fonde l'espoir que d'autres Présidents de République sortent de nos rangs et que notre chère école en devienne une fabrique. Permettez-moi enfin de vous présenter un aîné, Monsieur Omar Diallo, ancien de l'Ecole de Géologie de Nancy, promotion 1962 qui fut Ministre des Mines au Niger et qui a fait partie de ceux qui ont guidé mes premiers pas dans ma vie professionnelle.
Mesdames et Messieurs,
Le monde a connu des progrès
+techniques inouïs, de l'invention de l'imprimerie à internet et aux nanotechnologies en passant entre autres par la machine à vapeur, le chemin de fer, le moteur à explosion, le télégraphe, le téléphone, la cassette VHS et le DVD, les circuits intégrés, l'informatique. Ces innovations ont permis un haut niveau de développement économique dans certaines parties du monde alors que sous d'autres cieux, notamment en Afrique, des millions d'hommes vivent en dessous du seuil de pauvreté, sans nourriture ni eau, sans scolarisation ni soins de santé, sans électricité, sans route ni chemin de fer dont l'aventure a commencé, pour la France, on s'en souvient, ici même à Saint-Etienne au 19ème siècle. Au Niger, le programme de la renaissance sur la base duquel le peuple Nigérien m'a fait confiance, le 12 mars 2011, se fixe pour objectifs de couvrir tous ses besoins grâce à la valorisation et à la gestion des ressources tirées notamment de l'uranium et du pétrole, ce dernier étant en production depuis seulement le mois de Novembre dernier.
D'ailleurs, l'économie Nigérienne est prévue être parmi les plus dynamiques du monde avec un taux de croissance à deux chiffres les prochaines années. Pour l'année 2012, ce taux sera de 15%. Cet espoir qui renaît au Niger ne doit pas faire oublier que le développement économique s'est fait jusqu'ici de manière inégale dans le monde, entre pays comme à l'intérieur d'un même pays, en même temps qu'il a provoqué une grave dégradation de l'environnement. En effet, les progrès techniques dans le monde dont je parlais tantôt, n'ont pas toujours, loin s'en faut, été conçus et mis en oeuvre avec le souci de protéger l'homme et la nature. Les menaces qui pèsent sur notre planète, notamment les changements climatiques caractérisés par la récurrence de situations extrêmes d'inondation et de sécheresse et les effets anthropiques dont l'émission de quantités énormes de gaz à effet de serre, en constituent la preuve. Il est inacceptable que la pauvreté, notamment l'ignorance et la faim, ainsi que la pollution règnent encore sur notre planète. Nous avons donc deux défis majeurs à relever : éradiquer la pauvreté et sauvegarder notre planète. Aussi est-il de notre devoir de trouver un autre modèle de développement, un autre paradigme qui permettra à la fois un développement harmonieux et équilibré de toutes les régions du monde et la génération de produits et services qui n'endommagent pas l'environnement, un modèle dont la technologie sera propre, humaine et compatible avec la nature. C'est l'objectif que s'était fixé la Conférence de Rio sur le développement durable organisée en 1992. Nous sommes aujourd'hui à la fois à l'heure du bilan mais aussi et surtout des propositions concrètes et innovantes pour une bonne préparation de la Conférence de Rio+20 qui se tiendra en Juin prochain. Les conclusions des ateliers dont je viens d'écouter la synthèse des travaux ainsi que celles des autres rés et ateliers notamment la Conférence Tripartite Afrique-Brésil- France et le Forum " Jeunesse et emplois verts " que mon pays a abrité récemment vont certainement y contribuer.
Mesdames et Messieurs,
L'éco-conception, un des thèmes des ateliers, envisage le développement de manière durable, équilibré et global dans ses dimensions économique, environnemental et social. Mais ici se posent certaines questions qu'il faut nécessairement résoudre : est-il possible de concevoir et de fabriquer des produits qui sont à la fois de qualité, peu coûteux et qui ne soient pas dangereux pour l'environnement ? Comment convaincre les pays en développement de renoncer, sans que ne se creuse davantage l'écart de compétitivité entre eux et les pays développés, aux procédés de production polluants qui ont permis le développement des pays riches? Comment convaincre les marchés financiers que la recherche du profit maximum ne doit pas être le seul critère de décision ?
Mesdames et Messieurs,
Le nouveau paradigme de développement exigera des efforts importants, sur tous les plans, de la part des Etats, des entreprises, des institutions financières, bref de tous les acteurs : efforts de rupture dans la vision, efforts dans le domaine de la formation et de la recherche fondamentale, dans celui de la recherche et développement et donc dans le domaine de l'innovation ainsi que dans celui de la diffusion des connaissances, c'est-à-dire dans le domaine de l'information.
Je me rappelle d'un slogan en vogue dans l'hexagone à l'époque où j'étais à l'école des mines : " la France n'a pas de pétrole mais des idées ". Ce slogan souligne l'importance de la qualité des ressources humaines pour la compétitivité de l'économie d'un pays. Il existe, en effet, une corrélation entre capital de connaissances et niveau de développement. Ainsi l'écart d'innovation et donc de compétitivité qui existe entre pays développés s'explique en partie par l'écart qui les sépare en matière de production des idées. Ceux qui investissent une part importante de leur PIB dans la recherche fondamentale, dans la recherche et le développement et donc dans l'innovation ont une économie plus compétitive. C'est le creusement de l'écart dans ce domaine qui explique en partie l'accroissement du fossé en matière de développement économique entre les pays du Nord et ceux du Sud, fossé de plus en plus amplifié par la fuite des cerveaux du Sud vers le Nord. En particulier, s'agissant de l'Afrique, des milliers de cadres africains fuient leurs pays chaque année. Il faudra que nous trouvions les moyens de les maintenir sur le continent. C'est conscient de cela que j'ai décidé d'investir, au Niger, le quart de nos ressources dans l'éducation (éducation de base, au niveau secondaire et supérieur ainsi qu'au niveau de la formation professionnelle et technique) tout en cherchant à créer les conditions permettant d'arrêter l'hémorragie des cerveaux.
Mesdames et Messieurs,
Pour avoir des idées en vue de promouvoir le développement durable, il faut investir dans la formation des compétences, il faut investir dans la recherche fondamentale et dans la recherche et développement. Cela nécessite la mobilisation d'importantes ressources financières. Ces ressources existent aujourd'hui dans le monde mais une mauvaise allocation les oriente vers la spéculation aux dépens du financement de l'économie réelle. En effet, pour citer un exemple, les encours notionnels du volume d'activité sur les produits dérivés représentaient, en 2009, onze (11) fois le PIB mondial. Une partie de cet argent aurait dû être investi dans la production des idées, celles-ci auraient permis d'innover davantage et l'innovation aurait produit, à son tour, davantage d'argent, car elle aurait permis davantage de croissance. Il est dommage que les marchés de capitaux soient frileux face à l'investissement dans l'innovation qui est certes à risque mais dont dépend pourtant la moitié environ de la croissance économique dans les pays développés.
Mesdames et Messieurs,
On vient de noter qu'il existe une boucle vertueuse argent-recherche-idées-innovation-argent. Pour que cette boucle fonctionne bien dans la perspective du développement durable, il faut penser différemment, il faut que les pauvres cessent de penser que le développement durable est un luxe réservé aux seuls riches et que ceux-ci cessent de considérer qu'il est une contrainte, un obstacle à la réalisation de l'objectif du profit maximum. Dans tous les cas l'économie mondiale connaît des crises de plus en plus fréquentes et sa résilience, c'est-à-dire sa capacité de résistance aux crises, est de plus en plus faible. Pauvres ou riches, chacun doit prendre conscience de ce que la solution est le raccourcissement du cycle d'innovation dans une perspective de développement durable. Il nous faudra des innovations de rupture plus fréquentes que par le passé. Hier la boucle argent-recherche-idées-innovation-argent était longue car on se contentait de répondre à la demande à temps. Aujourd'hui nous sommes dans un monde qui doit innover, être réactif, un monde de la vitesse, et demain nous serons dans un monde de capacité à innover, d'anticipation et d'accélération. Nous devons donc nous adapter à l'exigence d'un cycle court de l'innovation en ayant en mémoire ce mot de Darwin : " ce ne sont pas les plus forts qui survivent, ni les plus intelligents, mais ceux qui sont les plus rapides à s'adapter aux changements. ". Cette adaptation au changement doit intégrer, entre autres, la nécessité de soutenir la croissance économique dans les pays pauvres dont le développement soutiendra, en retour, la croissance économique des pays riches.
Mesdames et Messieurs,
L'Afrique a adopté, en 1993, des stratégies pour la mise en oeuvre du programme de Rio 1992. Ces stratégies mettent l'accent sur la pression démographique, la sécurité alimentaire, la gestion des ressources en eau et l'énergie, les productions industrielles non polluantes, la gestion des écosystèmes et la lutte contre la désertification. Les pays Africains ne peuvent mettre en oeuvre ces stratégies dont le coût est estimé à deux et demi de billions de dollars que s'ils reçoivent, en plus de leurs ressources propres, des investissements directs étrangers massifs ainsi qu'un transfert de technologies propres et compétitives. Cela est possible car l'Afrique offre aux investisseurs d'immenses opportunités. C'est le cas, par exemple, dans le domaine de l'énergie, plus précisément dans le domaine de l'énergie propre : l'Afrique a un potentiel hydro-électrique important, représentant 10% du potentiel hydro-électrique mondial. Seulement 7% de ce potentiel sont actuellement exploités. Ce gisement d' " houille blanche " mérite d'être mis en valeur. C'est ce que nous faisons avec la réalisation, en cours, d'un barrage hydro-électrique sur le fleuve Niger, barrage qui a, par ailleurs, pour objectif la régénération des écosystèmes du fleuve et la promotion de l'irrigation, celle-ci constituant une des composantes de notre révolution verte, l'initiative " 3N ", les " Nigériens nourrissent les Nigériens ".
Le soleil constitue une autre source d'énergie inépuisable dans laquelle il est nécessaire d'investir : c'est la source d'énergie par excellence du développement durable. Bien que le soleil soit présent en Afrique toute l'année, le kilowattheure solaire n'est malheureusement pas encore compétitif par rapport à celui des sources d'énergie classiques. Voilà un domaine où l'innovation est nécessaire. Elle l'est aussi, notamment relativement à la question de la sûreté des centrales et de la gestion des déchets, dans le domaine du nucléaire dont le Niger, grand producteur d'uranium, compte promouvoir l'énergie. Dans les pays de l' Economique et Monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA) et de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale (CEEAC), la formation prochaine de pôles sous-régionaux, comme par exemple les clusters Energies renouvelables ou encore la promotion du concept de Pôles de compétitivité et clusters eau et énergie en Afrique prouvent combien nous sommes engagés sur le chemin du développement durable. L'Afrique offre également des opportunités d'investissements dans le domaine des infrastructures de transport, notamment dans le chemin de fer. Sans infrastructures de ce type, il n'y aura pas de développement. C'est pourquoi, au Niger nous comptons réaliser, à moyen terme, un projet de mille km de rail et mille autres à long terme.
Mesdames et Messieurs,
La question du transfert des technologies propres renvoie à celle de l'information définie comme étant l'ensemble des outils et plates-formes mis au service de l'innovation et de la formation. C'est à travers des outils tels que internet, les divers systèmes d'information et de bases de données ouvertes, que l'information joue son rôle. Elle permet la diffusion et le partage des connaissances, au service du développement durable. Les nouvelles technologies de l'information permettent d'obtenir les informations en temps réel, de discerner et de résoudre plus efficacement les problèmes. L'information a toujours été la base de toute prise de décision efficace. Cela fait de l'intégration aux réseaux d'information une nécessité pour les pays du sud. C'est pourquoi, nous avons, au Niger, un vaste projet de réalisation de réseaux de fibres optiques. Les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) ont, certes, enregistré une forte croissance sur le continent Africain, mais cependant, leur niveau de pénétration est encore bien éloigné de celui du reste du monde. Davantage d'investissements directs étrangers doivent donc s'orienter vers l'Afrique dans ce domaine.
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de conclure mon intervention en vous renouvelant mes remerciements et en vous confiant ma conviction que l'Afrique est le continent du 21ème siècle. L'afro-pessimisme appartient désormais au passé. L'Afrique est en marche et elle saura profiter des leçons tirées des erreurs commises ailleurs pour promouvoir un modèle de développement qui respecte l'homme et la nature.
JE VOUS REMERCIE ".
Source : Présidence du Niger
[FFPR2012]
Dossier de Médiaterre sur le Forum Francophone de Lyon préparatoire à Rio + 20 (470 hits)