Annoncé dès avril 2014 tant sa parution était attendue, un nouveau rapport de la BAD, dédié à la Tunisie, est désormais rendu public, venant bousculer quantité d’idées reçues. Intitulée Subventions alimentaires et aides sociales directes : vers un meilleur ciblage de la pauvreté monétaire et des privations en Tunisie, cette publication du Département Afrique du Nord (ORNA) passe au crible de l’analyse et des équations économétriques la réalité de la pauvreté en Tunisie et les systèmes de subventions et de transferts sociaux dont le pays est doté.
L’analyse vient à point nommé en Tunisie, où la révolution de 2011 et les mouvements sociaux qui s’en ont suivi ont mis en pleine lumière les inégalités persistantes et exacerbé la demande sociale.
Premier constat, implacable : la pauvreté – voire l’extrême pauvreté – est une réalité en Tunisie : en 2011, 15,5 % de la population tunisienne se trouvait en dessous de la ligne de pauvreté.
Pour autant, ces 15,5 % de ménages pauvres ne perçoivent que 12 % du total des subventions accordées par l’Etat. En effet, chiffres à l’appui, le rapport démontre qu’en termes d’impact des subventions, le Tunisien défini comme « pauvre » n’en perçoit que 64,8 dinars par an, alors que le Tunisien dit « riche », lui, touche 86,9 dinars par an.
Ces chiffres dissonants questionnent la performance des systèmes de transferts sociaux en Tunisie.
Une analyse antérieure de la BAD avait déjà démontré que le caractère universel des subventions alimentaires nuit gravement à l’efficience de ce mécanisme de lutte contre les inégalités et la pauvreté.
D’où cette nouvelle étude que publie la Banque. Objectif : formuler des solutions qui optimisent les transferts directs et les procédures de transferts sociaux.
Reposant sur des méthodologies éprouvées à l’international (méthodes des privations multiples et des « Proxy mean test »), le rapport évoque notamment les mécanismes de lutte contre les inégalités et la pauvreté qui ont été mis en place en Iran, en Inde et au Maroc, tout en tenant compte des spécificités de la Tunisie.
Et les solutions existent. Pour peu qu’elles soient appliquées, l’État tunisien pourrait économiser des millions de dinars de dépenses qui grèvent son budget, tout en réduisant fortement la pauvreté dans le pays.
Pour commencer, le rapport propose une nouvelle méthode de ciblage, afin de mieux identifier les ménages tunisiens les plus démunis – et, partant, s’assurer que ce soit eux qui tirent parti des systèmes de subventions et d’aides sociales. Le Programme national d’aides aux familles nécessiteuses (PNAFN) en deviendrait plus efficace et moins cher.
L’étude esquisse divers scénarios, afin de conjuguer réduction de la pauvreté, préservation du pouvoir d’achat de la classe moyenne et allègement du poids des transferts sociaux sur le budget de l’Etat. Elle conclue que :
Sans jamais toucher aux subventions alimentaires, le taux de pauvreté extrême peut être plafonné à 1,5 % (contre 4,6 % actuellement), malgré un budget du PNAFN réduit de moitié.
Avec un budget du PNAFN resté inchangé, on peut éradiquer la pauvreté extrême et abaisser le taux de pauvreté à 8 % (contre 15,5 % en 2011).
Les ménages souffrant d’extrême pauvreté percevraient alors 2 526 dinars par an – tous transferts confondus –, soit 2 277 dinars de plus qu’aujourd’hui. In fine, les Tunisiens les plus pauvres toucheraient 52 % du budget total alloué aux transferts directs et indirects (contre 12 % aujourd’hui).
Avec un budget du PNAF, auquel serait versée l’intégralité du budget dévolu jusqu’ici aux subventions, et grâce aux nouvelles méthodes de ciblage, la pauvreté extrême en Tunisie serait éradiquée et le taux de pauvreté réduit à 4,1 %.
Si l’objectif premier est de lutter contre la pauvreté, rien ne milite en faveur du maintien des subventions indirectes, à voir les différents scénarios ainsi esquissés.
Aussi, la conclusion de ce rapport est-elle claire : il faudrait abolir les subventions et réallouer tout le budget qui leur est dévolu aux transferts sociaux directs. Partant, les mécanismes de lutte contre les inégalités et la pauvreté profiteront véritablement aux Tunisiens les plus démunis.
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