- CJUE, Affaire C 478/13, 2 octobre 2014 : « Manquement d’État - Directive 2001/18/CE - Dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’environnement - Localisation des OGM cultivés – Obligation d’information des autorités compétentes – Obligation d’établir un registre public – Coopération loyale ».
Le 2 octobre 2014, la neuvième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 6 septembre 2013 par la Commission contre la République de Pologne.
En faits, la Commission européenne demande à la Cour de constater qu’en ne prévoyant pas une obligation d’informer les autorités polonaises compétentes de la localisation des organismes génétiquement modifiés (OGM) cultivés au titre de la partie C de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO L 106, p. 1), en n’établissant pas un registre de cette localisation et en ne rendant pas publiques les informations relatives à celle-ci, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 31, paragraphe 3, sous b), de cette directive.
La Commission arguait entre autre que :
- « […] qu’aucun des registres prévus par la loi sur les OGM, à savoir les registres visés aux articles 34, 40, 50 et 56 de cette loi, ne satisfait aux conditions énoncées à l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18. En particulier, le registre prévu audit article 50, relatif aux produits OGM mis sur le marché au titre de la partie C de cette directive, ne serait pas un registre afférent à la localisation des cultures OGM […].
- les autorités polonaises ont affirmé publiquement, dans une lettre adressée par le ministre de l’Environnement au président du Sénat, le 30 novembre 2009, que la loi sur les OGM ne régit pas les questions liées aux cultures de plantes transgéniques. Compte tenu de cette circonstance et du fait que l’annexe 3 du règlement du ministre de l’Environnement ne contient pas de rubrique se référant explicitement à la localisation des cultures concernées, les dispositions de la directive 2001/18 n’auraient pas été mises en œuvre avec la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique […].
- la République de Pologne a manqué à son obligation de coopération loyale, telle que visée à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE. En effet, la position de cet État membre, dans le cadre de la présente procédure, serait totalement différente de celle défendue au stade de la procédure précontentieuse, en affirmant que ladite directive aurait été intégralement transposée dans l’ordre juridique polonais. En outre, il se référerait pour la première fois, dans le cadre de la présente procédure, au règlement du ministre de l’Environnement ».
La république de Pologne rétorquait quant à elle, entre autres arguments, que :
- « […] le registre des produits OGM, tenu par le ministre de l’Environnement au titre de l’article 50 de la loi sur les OGM, contient notamment les demandes d’autorisation de mise sur le marché de produits OGM ainsi que la documentation correspondante. Or, il ressortirait de l’annexe 3 du règlement du ministre de l’Environnement, notamment des points I et 2.6 de sa partie 2, intitulés respectivement «Description du produit» et «Zone administrative de mise du produit sur le marché», que le demandeur de l’autorisation de mise sur le marché d’un produit OGM a l’obligation d’indiquer la zone administrative de mise sur le marché de ce produit. Par conséquent, les autorités administratives compétentes seraient informées du lieu de mise sur le marché du produit OGM, conformément aux exigences de la partie C de la directive 2001/18. Cela vaudrait également pour l’indication du lieu où la culture d’OGM serait effectuée, conformément à cette même partie C. Le registre visé audit article 50 contiendrait donc des informations sur la zone d’introduction du produit OGM ainsi que sur les zones où sont cultivés les OGM […].
- la procédure législative en cours ne démontre pas l’existence d’un manquement, mais elle est justifiée par le fait que les dispositions législatives actuelles sont datées et que l’importance croissante des questions liées à la culture des OGM exige que soit redéfinie la manière dont l’enregistrement de la localisation des cultures OGM est organisé et effectué […].
- s’agissant de l’exigence de sécurité juridique, elle fait valoir que la Commission n’a invoqué aucun élément de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle les modalités de transposition de l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18 pourraient constituer une source d’insécurité juridique […].
- s’agissant de la violation alléguée de l’obligation de coopération loyale, la République de Pologne soutient que, si, dans le cadre des procédures en manquement, les États membres sont tenus de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission, cela ne les empêche toutefois pas, à un stade ultérieur de la procédure, de présenter de nouveaux arguments pour défendre leur position. En effet, un État membre ne serait pas tenu de présenter, lors de la procédure précontentieuse, tous les arguments sur lesquels sa défense est fondée. Adopter une position inverse contreviendrait au principe du respect des droits de la défense et priverait la procédure devant la Cour de tout sens. En outre, cet État membre rappelle que le règlement du ministre de l’Environnement a été notifié en 2004 dans la base de notification des mesures nationales de transposition […]. »
Pour la cour, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 31, paragraphe 3, sous b), de cette directive. Elle explique cette violation par une argumentation fournie. Elle rappelle notamment que :
- « […] la République de Pologne ne conteste pas que les registres visés aux articles 34, 40 et 56 de la loi sur les OGM ne transposent pas l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18 dans le droit polonais. En revanche, elle fait valoir, en substance, que cette disposition a été transposée par l’article 50 de cette loi, lu en combinaison avec le règlement du ministre de l’Environnement, en particulier son annexe 3 […].
- bien que le règlement du ministre de l’Environnement n’ait pas été mentionné au cours de la procédure précontentieuse, le présent recours a pour objet un manquement non pas à l’obligation d’information de la Commission, mais à l’obligation de transposer l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18 dans le droit interne polonais. Il s’ensuit que le seul fait que la République de Pologne a omis d’informer la Commission, au cours de la procédure précontentieuse, de ce que, selon elle, cette disposition avait déjà fait l’objet d’une transposition dans le droit interne en vigueur ne saurait suffire à établir le manquement allégué […]. En effet, pour autant que les dispositions de droit interne invoquées par la République de Pologne étaient en vigueur à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, elles doivent être prises en compte par la Cour pour apprécier la réalité de ce manquement. Dans ces circonstances, dans la mesure où tant la loi sur les OGM que le règlement du ministre de l’Environnement étaient en vigueur à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, il y a lieu de vérifier si l’article 50 de cette loi, lu en combinaison avec l’annexe 3 de ce règlement, constitue une transposition adéquate de l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18, comme le soutient la République de Pologne. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18 impose aux États membres d’établir un registre visant à enregistrer la localisation des OGM cultivés au titre de la partie C de cette directive, à savoir des OGM destinés à une mise sur le marché de l’Union en tant que produits ou éléments de produits. L’article 50 de la loi sur les OGM prévoit l’établissement d’un registre public des produits OGM. Selon le paragraphe 2 de cet article, ce registre contient les demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits OGM, les autorisations de mise sur le marché de ceux-ci et les informations sur le retrait ou les modifications de ces autorisations, les décisions d’interdiction ou de limitation des échanges commerciaux de produits OGM, les avis de la Commission et les informations relatives aux risques pour la santé humaine ou l’environnement que représentent les OGM ainsi que les actions d’intervention adoptées pour prévenir un tel risque. Ainsi que le relève la Commission, aucune mention n’est faite de la localisation des cultures OGM dans cette disposition. Toutefois, il importe également de vérifier si les demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits OGM, comprises dans le registre prévu à l’article 50 de la loi sur les OGM, contiennent des données concernant la localisation des cultures OGM. Le contenu de ces demandes est défini à l’article 43, paragraphe 1, de cette loi ainsi que par le règlement du ministre de l’Environnement.
- D’une part, il ressort des termes de l’article 43, paragraphe 1, de la loi sur les OGM que les demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits OGM comportent les informations concernant l’utilisateur des produits OGM ainsi que les produits OGM, à savoir la description des produits, les instructions ou recommandations relatives à leur conservation et à leur utilisation et les informations sur l’OGM contenu dans lesdits produits. Ces demandes doivent également contenir des indications quant aux mesures de précaution recommandées en vue d’une utilisation sécurisée des produits OGM, aux risques éventuels pour la santé humaine ou l’environnement susceptibles de se manifester dans le cas d’une utilisation des produits OGM non conforme à leur destination, à l’emballage et à l’étiquetage des produits OGM, aux autorisations obtenues en vue de la mise sur le marché dans d’autres États membres et aux éventuels refus d’autorisations. En revanche, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission, il ne résulte pas des termes de cet article 43, paragraphe 1, que les demandes d’autorisation répertoriées dans le registre prévu à l’article 50 de ladite loi contiennent des éléments relatifs à la localisation des cultures OGM.
- D’autre part, s’agissant du règlement du ministre de l’Environnement, il convient de rappeler qu’il est relatif à l’établissement de modèles types pour les demandes d’accords et d’autorisations concernant les opérations portant sur des OGM. L’annexe 3 de ce règlement définit un modèle de demande d’autorisation de mise sur le marché de produits OGM. La partie 2 de cette annexe est intitulée «Informations sur le produit contenant des OGM ou constitué de tels organismes ou d’une partie d’entre eux» et comprend un point 2.6, lui-même intitulé «Zone administrative de mise sur le marché du produit».
- Il ressort des dispositions de ladite annexe que les demandeurs d’autorisation de mise sur le marché d’OGM en tant que produits ou éléments de produits sont tenus, dans le cadre de leur demande, d’informer les autorités compétentes de la zone de mise sur le marché de ces OGM. L’indication de cette zone figure donc dans le registre visé à l’article 50 de la loi sur les OGM. En revanche, il ne découle pas des termes de cette annexe que les autorités compétentes doivent être informées du lieu où sont pratiquées des cultures d’OGM destinés à être mis sur le marché.
- Certes, dans le cas d’une semence OGM, il ne saurait être exclu que la zone de mise sur le marché, telle que définie à l’article 3, point 5, de la loi sur les OGM, puisse parfois fournir indirectement une indication quant au lieu de culture de cette semence. Dans une telle hypothèse, eu égard à l’annexe 3 du règlement du ministre de l’Environnement, les autorités compétentes seraient effectivement informées de la localisation des OGM cultivés afin d’être mis sur le marché en tant que produits ou éléments de produits et cette localisation figure dans le registre public visé à l’article 50 de la loi sur les OGM. Toutefois, il ne saurait être considéré que la zone de mise sur le marché d’une semence génétiquement modifiée est toujours identique au lieu de culture de celle-ci.
- En outre, quand bien même il ressortirait de l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18 que les localisations des OGM cultivés au titre de la partie C de celle-ci doivent être notifiées et rendues publiques de la manière jugée appropriée par les autorités compétentes, il n’en demeure pas moins que la marge d’appréciation laissée à cet égard aux États membres n’est pas absolue. En effet, les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable et avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique.
- Or, l’interprétation proposée par la République de Pologne de l’article 50 de la loi sur les OGM, lu en combinaison avec l’annexe 3 du règlement du ministre de l’Environnement, ne saurait, à elle seule, satisfaire à l’exigence de sécurité juridique dans la mesure où le libellé de ces dispositions ne présente pas la clarté et la précision requises.
- Ladite exigence de sécurité juridique est d’autant moins satisfaite que, ainsi que cela ressort des éléments du dossier, le ministre de l’Environnement polonais a expliqué, dans une lettre du 30 novembre 2009, adressée au président du Sénat et rendue publique par ce dernier, que, en l’état actuel du droit polonais, il n’existe aucune obligation d’informer les autorités nationales de l’existence de cultures de plantes génétiquement modifiées et qu’il n’est donc pas possible de déterminer les personnes cultivant de telles plantes en Pologne ni de localiser les cultures concernées.
- En outre, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort de son article 1er, la directive 2001/18 a notamment pour objectif de protéger la santé humaine et l’environnement à la suite d’une dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. Dans ce contexte, s’agissant des OGM destinés à être mis sur le marché, relevant de la partie C de cette directive, celle-ci comprend, conformément à ses articles 19 et 20, des exigences en matière de surveillance. L’article 31, paragraphe 3, sous b), de ladite directive met précisément en œuvre ces exigences en matière de surveillance. Selon l’article 20, paragraphe 4, de cette même directive, les résultats de la surveillance au titre de la partie C doivent être rendus publics de façon à en garantir la transparence. Compte tenu de cet objectif de transparence, les exigences de clarté et de précision mentionnées par la jurisprudence citée aux points 43 et 44 du présent arrêt sont d’autant plus impératives.
- Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que l’article 50 de la loi sur les OGM, lu en combinaison avec l’annexe 3 du règlement du ministre de l’Environnement, ne constitue pas une transposition adéquate de l’article 31, paragraphe 3, sous b), de la directive 2001/18. Il s’ensuit que le grief de la Commission tiré de l’absence de transposition correcte dans l’ordre juridique polonais de cette disposition est fondé ».
[VEIJURIS]
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