La transition énergétique est entamée, même si ces premiers effets tardent à se faire sentir. Pourtant, la principale question demeure : qui pour payer la facture finale d’un changement radical de nos modes de production et de consommation de l’énergie ?
Quelle part pour l’Etat ?
L’Etat finance directement de moins en moins la transition énergétique, c’est une évidence. Il fut un temps où l’Etat imposait à EDF, dont il est actionnaire majoritaire, le rachat de l’électricité photovoltaïque et éolienne à des prix très élevés, pour encourager les nouvelles installations. En échange EDF prélevait la CSPE ou Contribution au service public de l'électricité, une ligne ajoutée aux factures d’EDF depuis 2003 ; « une taxe collectée directement auprès du consommateur final d'électricité », résumait prosaïquement EDF. Or depuis 2007, le mécanisme est fortement déficitaire pour EDF. Le gouvernement a d’ailleurs dû acquitter en 2012 une facture de près de 5 milliards d’euros de « rattrapage », et depuis 2011, les tarifs de rachat baissent d’années en années (ils sont revus chaque trimestre) si le nombre d’installations nouvelles se rapproche des objectifs. La logique surprenante de l’Etat est la suivante : plus on se rapproche du but à atteindre et moins l’Etat encourage à poursuivre. Le principe est discutable mais il a moins le mérite de ne pas plomber les finances exsangues de l’Etat.
Et c’est bien le principal effet recherché aujourd’hui : un transfert des charges de la transition énergétique vers le bas, avec au premier rang des collectivités locales dont les dotations baissent. L’Etat ne finance plus, certes, mais il légifère, et assouplit certaines contraintes. Ainsi, pour Ségolène Royal, Ministre en charge de l’Ecologie : « Les collectivités ne doivent pas craindre d’emprunter. Ces investissements vont réduire leurs dépenses de fonctionnement et dégager de nouvelles ressources sur leurs territoires, soit directement pour la collectivité, soit pour ceux qui y habitent ou y travaillent. » Encore faut-il désormais que les organismes préteurs jouent le jeu.
Comment interviennent les investisseurs institutionnels ?
Pour permettre aux collectivités locales de financer les investissements nécessaires, sans son aide ou presque, l’Etat a développé de nouveaux outils financiers, notamment grâce à la Caisse des dépôts et consignations. Dès 2014, l’Etat a mis ainsi 5 milliards d’euros à disposition sous la forme de prêts « transition énergétique et croissance verte ». « Il s’agit là d’un avancement non négligeable pour les communes, les intercommunalités, les départements et les régions qui vont pouvoir se financer à des taux très attractifs », explique-t-on au cabinet du ministère de la Décentralisation et de la Fonction publique. La Banque publique d’investissements (BPI) s’est engagées de son côté à doubler le montant de ses prêts pour atteindre 800 millions d’euros.
Le secteur privé, banques, assurances et fonds de pension, est également inciter à financer ces projets. Et on aurait tort de croire que tous les organismes financiers freinent des quatre fers à l’évocation de la transition énergétique. « Nous sommes le porte-voix des citoyens qui cotisent et bénéficient des régimes de retraites français, expliquait dès 2014 Eric Loiselet, membre du Réseau des Administrateurs pour l'Investissement Responsable (RAIR), et administrateur de l’ERAFP, fonds de pension de la fonction publique. A ce titre nous lançons des propositions pour faire prendre conscience aux décideurs politiques que les institutions de retraite sont des acteurs économiques clefs. La transition énergétique nous concerne puisque les menaces qui pèsent sur la planète sont aussi des menaces sur l’emploi et les ressources financières des salariés et retraités. » Le RAIR est ainsi à l’origine des Green Bonds et du bilan obligatoire de l’empreinte carbone. Cette dernière idée, formulée lors Conférence bancaire et financière du 23 juin 2014, a abouti à l’article 173 de la loi de transition énergétique. Cet article oblige ainsi désormais les investisseurs institutionnels (mutuelles, gestionnaires de fonds, institutions de prévoyance,…) à évaluer dans leurs rapports annuels la « part verte » de leurs investissements, et ce dès 2016. Une manière d’inciter à investir le créneau, entre autres sous la forme des fameux Green Bonds. « Les industriels et les collectivités locales s'y mettent. […] Les fonds d'Investissement socialement responsable (ISR) se montrent intéressés, et plus généralement, tous les fonds ayant des critères ISR marqués, comme les fonds souverains et certains fonds de pension. Mirova, filiale de Natixis Asset Management dédiée à l'ISR, lance un véhicule d'investissement dédié aux obligations vertes », fait ainsi valoir Marc-Antoine Franc, directeur associé de BeCitizen. Mais d’autres pistes sont possibles pour avancer en termes de transition énergétique.
Quelles sont les solutions alternatives ?
Pour ceux qui ne souhaitent ni emprunter, ni financer par l’impôt les travaux imposés par la loi de transition énergétique, d’autres solutions existent malgré tout. Le secteur privé s’est fait fort de trouver des business model écologiques, et certaines opportunités ne manquent pas d’atouts. « Ces installations ne coûtent pas un centime d’argent public aux collectivités. Elles mettent à disposition une partie du domaine public pour l’exploitation, contre une redevance, indexée sur le chiffre d’affaires. Euro Blue Power sélectionne chaque projet minutieusement pour permettre la rémunération de tous aux meilleures conditions. Pour les collectivités, c’est la garantie d’un revenu stable, à long terme, généralement adossé à un contrat de rachat par EDF de l’électricité produite pour 20 ans renouvelables » explique par exemple Pierre-Marie Hénin, PDG d’Euro Blue Power (EBP). Entreprise familiale spécialisée en hydroélectricité, récemment créée au sein de holding de la famille Hénin, EBP s’intéresse spécifiquement aux ouvrages relevant de la petite hydroélectricité, soit les installations d’une puissance inférieure à 4,5 MWatt de puissance. Ces projets s’adressent à « des « communautés » réunissant investisseurs publics et privés, industriels et collectivités locales. Côté investisseurs, nous trouvons des entreprises comme EBP, des acteurs financiers traditionnels comme les banques, mais aussi des investisseurs institutionnels, attirés par des investissements écoresponsables et des rendements stables à long terme », précise encore le PDG d’Euro Blue Power. Pour Pierre-Marie Hénin, la transition énergétique basée sur l’hydroélectricité est d’une simplicité redoutable : Euro Blue Power conçoit et exploite ce que des industriels construisent, financés par les banques ou d’autres investisseurs institutionnels. Présente du début à la fin du processus, la collectivité n’a qu’à toucher sa redevance, sans autre contrainte.
D’autres entreprises se distinguent par des solutions originales pour limiter l’impact de la transition énergétique sur les collectivités locales. EDF Energies Nouvelles a ainsi fait appel en juin 2016 au… crowdfunding, grâce à la plateforme de financement participatif Lendosphère spécialisée dans les énergies renouvelables. Soucieux de sortir des polémiques liées à l’éolien, l’énergéticien souhaite transformer les riverains en « banquiers des projets d’énergies renouvelables » et encourager l’appropriation locales de ces projets. « A travers cette campagne de financement participatif, nous souhaitons associer le plus grand nombre au développement de ces deux projets, et poursuivre ainsi la dynamique Territoire à énergie positive pour la croissance verte impulsée par les élus locaux et validée par l'Etat », explique David Augeix, le directeur Région sud d'EDF EN, au sujet de projets de fermes éoliennes à Castelnaudary.
La loi de transition énergétique prévoit en effet que les communes ou les groupements de communes sont autorisés à participer au capital d’une SAS ou d’une SA pour la production d’énergie renouvelable sur leur territoire. « Non seulement ce type d’opération permet de lever des fonds, mais en plus cela permet de rendre les riverains partie prenante d’un projet, tout en faisant en sorte que les retombées financières parviennent sur le territoire », explique encore le cabinet du ministère de la Décentralisation et de la Fonction publique. Intérêt non négligeable pour les riverains (à tous les sens du terme) : ils peuvent espérer des taux d’intérêts jusqu’à 8%. Une véritable manne financière, qui tend à prouver que de nombreuses solutions existent pour financer la transition énergétique au niveau des collectivités locales. De l’emprunt aux concessions hydroélectriques, en passant par les crowdfunding, les collectivités locales ont en réalité l’embarras du choix. Mais elles doivent en plus garder une chose en tête : la transition énergétique génère non seulement des économies à moyen terme, mais aussi une quantité inestimable d’externalités positives.