Alors que les dégradations de l’environnement sont désormais connues pour accentuer le risque de certains cancers chez l’Homme qu’en est-il des autres animaux ? Dans une étude publiée récemment dans Ecology Letters, deux chercheurs de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM, CNRS / Université de Montpellier / IRD / EPHE) ont constaté que les populations d’espèces vivant dans des environnements très éloignés de leurs conditions naturelles étaient elles aussi davantage sujettes au cancer. En poursuivant leurs investigations chez l’Homme à partir d’un modèle mathématique, les scientifiques ont ensuite pu estimer le risque de cancer chez nos lointains ancêtres. Alors que celui-ci atteint aujourd’hui 40%, il devait être inférieur à 10% chez les premiers chasseurs cueilleurs. Ces résultats nous éclairent sur la manière dont les variations naturelles de l'environnement et l'activité humaine affectent le risque de cancer dans l’ensemble du règne animal.
La théorie de l’évolution prédit que la plupart des métazoaires, soit la grande majorité des animaux qui peuplent la Terre, sont peu affectés par les cancers aux âges influant la sélection naturelle. Confrontées à des perturbations de nature diverses telles qu’un écosystème dégradé, une épidémie parasitaire ou pathogène, la vie en milieu artificialisé ou encore un taux de consanguinité élevé, les populations animales voient toutefois le risque de certains cancers augmenter de manière significative. C’est ce que sont parvenus à montrer deux chercheurs de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM) en passant en revue des centaines d’articles scientifiques publiés sur le sujet. Alors que le taux de cancer avoisine souvent de 1 à 2% chez les groupes d’individus évoluant dans un environnement naturel intact, il pourrait dépasser les 5% au sein de populations vivant dans des zoos, des milieux pollués, voir chez certains animaux domestiques. Chez les baleines bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent, au Canada, le taux de cancer atteint même 20%. Cette valeur exceptionnellement haute pourrait, dans ce cas précis, être le résultat de l’exposition des cétacées à des contaminants tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Des incidences élevées sont également observées dans certains cas de cancers transmissibles, comme la tumeur faciale du diable de Tasmanie. « Le fait que les cancers affectent de manière significative un large éventail d'espèces animales suggère que certains systèmes de protection anti-cancer mis en place au fil du temps, par le biais de la biologie évolutive, s’avèrent sensibles aux variations des conditions environnementales », estime Michael Hochberg, l’un des deux auteurs de l’étude.
Dans un second temps, les scientifiques ont voulu explorer cette hypothèse chez l’Homme. A l’appui de données statistiques portant sur l’incidence du cancer chez la population américaine au XXIe siècle et des traits démographiques des chasseurs cueilleurs actuels, ils ont pu obtenir, à l’aide d’un modèle mathématique, une estimation de l’impact de cette maladie chez les tous premiers chasseurs cueilleurs. En prenant en considération les conditions de vie auxquelles étaient confrontés ces derniers (faible espérance de vie, pollution quasi inexistante, alimentation moins riche en sucre,...), les chercheurs sont arrivés à la conclusion que le risque qu’ils soient victimes d’un cancer ne devrait pas dépasser 10% contre 40 % à l’heure actuelle chez l’espèce humaine. « Nous sommes partis des hypothèses que nos lointains ancêtres étaient moins exposés à des substances mutagènes et qu’ils limitaient les comportements favorisant le développement des tumeurs malignes », précise Michael Hochberg. En considérant l’espérance de vie plus courte et la plus petite taille de ces individus, les scientifiques sont par ailleurs arrivés à la conclusion qu’ils avaient une probabilité beaucoup plus faible de devoir faire face aux cancers dangereux que les humains d’aujourd’hui. Bien que ces résultats méritent encore d’être approfondis, ils offrent d’ores et déjà un cadre théorique pour tenter de savoir comment les variations naturelles de l'environnement et l'activité humaine affectent le risque de cancer chez les animaux sans omettre de prendre en compte les implications potentielles pour l'écologie de ces espèces.
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