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Le passage du Nord-Ouest, source d'inquiétudes


Les températures dans l'Arctique ont atteint ces dernières années des niveaux sans précédent et la couverture de glace est tombée à des minimums historiques. Une des conséquences : le passage du Nord-Ouest devient de plus en plus navigable, mais pas sans risques. Au Nunavut, la situation préoccupe.

Un texte de Marie-Laure Josselin, de retour de l'expédition Canada C3

À droite, l'île Bylot, réserve naturelle et refuge d'oiseaux migrateurs. À gauche, l'extrémité de l'île de Baffin et ses montagnes. Le capitaine du brise-glace Polar Prince, Stephan Guy, est attentif. « On vient de commencer ce qui est traditionnellement défini comme le passage du Nord-Ouest et on s'approche de Pond Inlet », une communauté inuite.

Quelques glaces sont visibles sur l'eau au loin. Très peu. « L'Arctique, c'est ma corde sensible », lance le capitaine qui navigue ici depuis une trentaine d'années, dont 19 sur des brise-glaces pour la Garde côtière canadienne.

« Dans les années 80, le passage était hypothétique. On le planifiait, mais il n'y avait aucune garantie, même avec un brise-glace. Alors que maintenant, la fenêtre de passage est de plus en plus prévisible et longue. Anciennement, on avait une à deux semaines et si on manquait cette période hypothétique, c'était fini », précise-t-il alors qu'il entame un passage qu'il va finalement réussir, malgré quelques craintes, pour l'expédition Canada C3 qui traverse le Canada de Toronto à Victoria.

Entre 1906 et 2008, une centaine de navires ont emprunté le passage du Nord-Ouest. L'an dernier, 23, en majorité des bateaux de plaisance, ont effectué la traversée qui intéresse de plus en plus de pays. Les navires marchands transitant entre l'Europe et l'Asie auraient 7000 kilomètres de moins à faire avec ce passage.

Un raccourci synonyme de gain d'argent et une opportunité que la Chine semble explorer. Pour la première fois cet été, un brise-glace scientifique chinois, avec l'autorisation du Canada, a emprunté ce passage, que la Chine surnomme déjà la voie d'eau dorée.

Beaucoup de bateaux de plaisance et de croisières s'y aventurent de plus en plus. À Pond Inlet, en cette mi-août, alors que les enfants profitent d'un climat doux en jouant dans la rivière, deux voiliers, un jaune et un rouge, s'apprêtent à partir pour traverser le passage. Dans quelques jours, un bateau de croisière avec 1000 personnes à bord fera escale dans la communauté.

« Il y a de plus en plus de bateaux qui passent ici et les chasseurs n'aiment pas cela. Ils disent que ça fait peur aux animaux », explique Enookie Killiktee, agent de développement économique communautaire de Pond Inlet.

Les eaux du détroit de Lancaster sont l'une des zones les plus biodiversifiées de l'Arctique : ours polaires, phoques, oiseaux marins, bélugas, baleines et plus de 75 % des narvals de la planète y vivent.

Protéger et étudier le milieu naturel

Le 14 août, le Canada a annoncé s'être entendu avec le Nunavut et la Qikiqtani Inuit Association, une association représentant les Inuits de Baffin, sur les limites de ce qui sera la plus grande aire marine nationale de conservation du Canada. Elle se trouve justement dans le détroit de Lancaster et aura une superficie de 131 000 kilomètres carrés. Le gouvernement a aussi inauguré, deux jours plus tard, une nouvelle station de recherche qui fera office de carrefour de la collaboration scientifique dans la région.

Dans le bâtiment sur deux étages flambants neufs, Evan Richardson fait la visite quelques jours avant l'inauguration. Ce spécialiste des ours polaires travaille pour Environnement Canada et précise que ses collègues sont sur le terrain en train de prendre des échantillons.

Ici, le laboratoire humide, ici la table pour faire les nécropsies. Les scientifiques dans la station de recherche travaillent sur l'impact des changements climatiques, sur le système marin de l'Arctique, la qualité de l'air, la contamination de l'eau ou encore sur l'impact du trafic maritime.

« C'est une question de recherche que l'on commence seulement à étudier et c'est pour cela que c'est important de collecter les données. Dans le passé, c'était difficile, car comprendre les impacts du trafic maritime en Arctique n'est pas évident. Le passage des bateaux est variable, ils changent de trajectoire selon les changements de la banquise et on ne sait jamais quand et où ils passent. Mais avec ces nouvelles installations, cela sera plus facile ».

Selon lui, une soixantaine de bateaux sont passés cette année devant Pond Inlet, notamment ceux qui vont à la mine.

Les scientifiques travaillent avec la communauté, des jeunes viennent faire des ateliers et les connaissances traditionnelles inuites sont utilisées. « C'est un laboratoire avec portes ouvertes », soutient Evan Richardson, « et nous essayons vraiment de promouvoir le fait que ceux qui travaillent ici aient un plan pour communiquer les résultats de leurs recherches après ».

Autre préoccupation : la course aux ressources naturelles

La région pourrait receler 13 % des réserves de pétrole et 30 % des réserves de gaz naturel non découvertes de la planète. Mais explorer et produire dans ces conditions extrêmes est risqué pour l’écosystème, et coûteux et complexe pour les entreprises.

Et l’enthousiasme pour ces puits potentiels est redescendu en même temps que le prix du baril de pétrole. « Compte tenu de la conjoncture économique et globale, les compagnies ne sont pas trop intéressées », explique Frederic Lasserre, directeur du Conseil québécois d’Études géopolitiques (CQEG) de l'Université Laval.

Shell a même renoncé volontairement à 30 concessions de prospection pétrolières et gazières, permettant notamment de créer la nouvelle aire marine protégée où la prospection et l'exploitation d'hydrocarbures ou encore de minéraux seront interdites une fois l'aire marine désignée en vertu de la loi canadienne.

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