Mis en œuvre par un consortium composé du Gret, d’Enda Graf Sahel et de Fodde, le projet QualEmploi accompagne depuis 2017 des jeunes vulnérables et leurs maîtres artisans dans un processus de formation professionnelle par apprentissage appliquée aux métiers para-agricoles. Cheikhou Touré, chargé des relations institutionnelles du projet Qualemploi pour le compte d’Enda Graf Sahel, et par ailleurs président du Réseau d’études, de recherche et de formation pour le développement (Reford), ainsi que de la Commission gouvernance des assises de l’éducation nationale, nous détaille les enjeux de cette approche visant à améliorer durablement la qualité des formations et l’accès à l’emploi au Sénégal.
Dans le Sénégal traditionnel, la formation professionnelle se faisait de père en fils et de mère en fille. Le chômage n’existait pas car il y avait un lien cohérent entre la formation professionnelle dans les différents métiers, les profils de sortie, les besoins économiques et la société. La contrainte cependant reposait sur l’absence de mobilité d’un groupe socio-économique à l’autre, notamment à cause du système de castes. Dans la période arabo-islamique, l’accent était surtout mis sur la formation d’enseignants du coran et de la langue arabe ; la question des métiers n’était pas à l’ordre du jour. Par contre, dans les programmes développés par les colonisateurs français, la formation professionnelle avait bien sa place. Là également, il y avait une cohérence entre les profils visés et l’économie de traite. De larges détails concernant ces différentes périodes peuvent être retrouvés dans la thèse d’Etat du nigérien Abdou Moumouni, intitulé « L’éducation en Afrique ». Dans la période post-coloniale, à partir des indépendances de 1960, furent organisées par l’UNESCO et l’Organisation de l’unité africaine (OUA) deux conférences qui fixèrent aux pays nouvellement indépendants deux objectifs à réaliser au plus tard en 1980 : la scolarisation universelle et la mise en œuvre de programmes adaptés au développement socio-économique et culturel des Etats africains indépendants.
Aujourd’hui, force est de reconnaître que malgré de nombreux efforts, aucun de ces objectifs n’est atteint. Nous passons difficilement de l’atelier à l’entreprise comme seule productrice de croissance et d’emploi. La question des langues nationales et de l’élévation du niveau scientifique et culturel des populations reste intacte. Or, on sait que le génie culturel et scientifique d’un peuple n’éclot facilement que dans sa propre langue. Les progrès dans l’enseignement des matières scientifiques et la formation à des métiers en cohérence avec les défis du développement socio-économique et culturel sont restés en retard par rapport à l’enseignement général, qui jusqu’à l’université n’offre pas suffisamment de débouchés professionnels. Plus inquiétant, chaque année 200 000 à 300 000 jeunes filles et garçons viennent frapper à la porte de l’emploi. Ainsi, d’après une étude de la Banque mondiale, le système formel ne produit au Sénégal que 8 % des emplois, alors que le système non formel en produit 92 %.
C’est pourquoi Mamadou Talla, ancien ministre de la Formation professionnelle, devenu ministre de l’Education, qualifiait récemment de boulevard le secteur de l’artisanat au Sénégal qui, selon lui, apparaît comme une rampe d’émergence pour les entreprises porteuses. En effet, c’est la voie royale pour servir de base au passage de l’atelier à la micro-entreprise, à l’industrialisation et à la mise en place d’un secteur tertiaire capable de hisser le pays à un niveau de croissance et de développement socioéconomique et culturel durable. C’est également le meilleur moyen de donner aux jeunes des leviers pour répondre à la demande en personnels qualifiés des entreprises. En effet, quand les Objectifs du développement durable ont visé en 2015 la construction d’un monde meilleur, le Sénégal s’est posé comme défi l’émergence d’un pays prospère et solidaire dans un Etat de droit. Tel est l’enjeu dans lequel se situe la formation professionnelle d’une maniére générale, et les objectifs du projet Qualemploi en particulier.
La formation de 600 jeunes non scolarisé·e·s et déscolarisé·e·s dans le cadre du projet Qualemploi a posé d’emblée plusieurs défis à relever, et notamment celui de l’amélioration de l’efficacité de l’apprentissage, rénové par le biais de l’approche par les compétences. En effet, jusqu’ici la formation se faisait sur deux sites différents (l’atelier et le centre de formation), en alternance d’un lieu à l’autre et avec une quasi-absence de dialogue entre le formateur du centre et le maître artisan. Le défi était donc d’effacer cette distance et la méfiance qui s’était installée. Enfin, les profils des bénéficiaires déscolarisé·e·s et non scolarisé·e·s nous imposait de leur donner accès à l’alphabétisation afin de leur permettre, à terme, non seulement de mieux comprendre ce qu’ils apprenaient, mais aussi de prendre des notes pour fixer leur acquisition. Mais, plus important encore, l’acquisition de la langue est aussi un moyen pour ces jeunes de se hisser à un certain niveau conceptuel, méthodologique et instrumental, base de l’éclosion de leur génie créatif pour innover et renforcer leur offre à la demande du milieu.
Les défis que nous venons d’évoquer nous ont amenés à concevoir le format A3, appelé également alphabétisation intégrée à la formation professionnelle. Il nous permet de former l’apprenti·e dans l’atelier qui accueille le formateur, le maître artisan et l’alphabétiseur, qui interviennent ensemble en réalisant de manière innovante l’unité de lieu (l’atelier), de temps (la séance) et d’action (la formation selon le format A3).
Le Plan Sénégal émergent fixe aujourd’hui le développement socio-économique, culturel et durable du pays autour de trois piliers :
C’est dans ce cadre qu’est aujourd’hui pensée la formation professionnelle au Sénégal, et c’est pourquoi nous mettons en place un large programme, cohérent et durable, où la ligne directrice est que chaque Sénégalais·e soit un·e entrepreneur·e, compétent·e, solidaire et juste, ayant un revenu décent et durable et participant au développement économique et social de son pays.
Le projet Qualemploi va dans ce sens en tentant de former des jeunes de manière plus complète et inclusive à des métiers porteurs, dans les secteurs tels que l’irrigation, le photovoltaïque, ou la conduite et la maintenance d’engins agricoles, tout en valorisant leur force citoyenne.
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