Construction, transports, énergie… Tous les secteurs industriels émetteurs de gaz à effet de serre ont déjà entamé leur mutation pour réduire le plus possible leur impact environnemental. Leurs stratégies sont transversales et souvent complémentaires.
Zéro émission carbone en 2050. L’objectif des pouvoirs publics est clair et affiché : la France devra être un pays totalement décarboné dans moins de vingt ans. Pour y parvenir, l’Etat a lancé un grand chantier, le Parlement ayant voté la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) en 2015. Sept ans plus tard, des résultats sont déjà là, l’Etat ayant par ailleurs débloqué 30 milliards d’euros en faveur de l’innovation dans le cadre du plan France 2030 initié par Emmanuel Macron en octobre 2021.
« Plus personne ne met en cause le fait que nous devons faire face à un monde qui doit émettre de moins en moins de carbone possible, a alors rappelé le chef de l’Etat. C’est ça notre objectif. Et tout cela commence dès maintenant parce que nos premiers objectifs concrets sont en 2030. C’est vraiment une série de révolutions dans la capacité à produire l’énergie, à faire de l’industrie, à nous déplacer, à nous organiser. Nous devons massivement investir pour aider les industries à décarboner. Ce sera un investissement public et privé. » Face à l’urgence climatique soulignée par le dernier rapport du GIEC début avril, la France va devoir accélérer la cadence. Et le secteur privé industriel est le premier concerné.
Tout pour la recherche et le développement
Passer d’un monde à l’autre, cela implique nécessairement d’innover. L’industrie automobile a pris le taureau par les cornes il y a dix ans et développe depuis ses projets en faveur des nouvelles sources d’énergie. En novembre dernier par exemple, l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi a annoncé un plan d’investissements communs de 23 milliards d’euros sur cinq ans pour électrifier ses différentes gammes. Objectif : ne commercialiser que des véhicules électriques dès 2030, en avance sur les orientations françaises initiales à l’horizon 2040. « C'est un pari audacieux mais cela va dans le sens de l’histoire », estime Luca Di Meo, le PDG du groupe. Mais ce n’est pas tout de consommer l’énergie électrique, encore faut-il la produire « proprement », raison pour laquelle tous les constructeurs travaillent également au développement de la filière hydrogène vert. Le constructeur coréen Hyundai vient d’ailleurs d’annoncer des essais prometteurs[i] avec son SUV Nexo.
La question de l’énergie est évidemment centrale pour toutes les industries. Cela commence par la fabrication de cette énergie, pour se défaire de la dépendance aux ressources fossiles. Et la France est plutôt bien placée en termes d’innovation, comme le montre l’indice mondial de l’innovation publié par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Le secteur de l’énergie attire en effet déjà beaucoup d’investissements en termes d’innovation. « Sous l’impulsion de la transition énergétique qui est au cœur des plans de relance, le secteur de l’énergie entre aujourd’hui dans un cycle d’investissements majeurs, estime Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie. Plus de 120 pays et encore davantage de villes et d’entreprises sont aujourd’hui engagés pour la neutralité carbone d’ici à 2050. On s’attend à ce que la capacité du renouvelable triple au cours des vingt prochaines années à l’échelle mondiale. »
Dans le domaine énergétique, l’Hexagone est en pointe, dans le sillage également d’EDF qui multiplie les stratégies pour développer le bas carbone et faire éclore les nouvelles idées des startups. Parmi ces dernières, PowerUp est par exemple en train de développer des algorithmes pour améliorer la maîtrise et l’exploitation durable des batteries. Soutenue financièrement par EDF, PowerUp va vite. « Nous avons gagné un temps précieux sur l'ensemble de la chaîne de valeur avec une industrialisation de notre procédé prévue cette année, se félicite Josselin Priour, PDG de la startup. Il n’y a que de cette manière que nous pourrons tous répondre à l’urgence des enjeux de la transition énergétique. »
Ces innovations testées avec succès
Cette fameuse transition énergétique est aussi au cœur du secteur du BTP (bâtiment et travaux publics) qui est lancé dans une spectaculaire révolution de ses pratiques, particulièrement visible sur le chantier du siècle : le Grand Paris Express (GPE), le futur métro francilien. Pour la construction des 200km de tunnels, certains constructeurs ont innové et mis en application leurs nouveaux procédés sur ce chantier. C’est le cas par exemple du béton fibré, mis au point en 2019-2020 par le groupe Eiffage et qui présente le double avantage de consommer moins de ressources, 50% d’acier en moins que le béton armé classique, et donc de réduire d’autant l’émission de GES à quantité de béton égale. « C’était une première en France, se souvient Christian Clergue, alors directeur du Département Innovation Représentation Matériaux chez Eiffage Génie Civil. Nous avons réussi à faire valider ce béton fibré en production industrielle et en mise en application. A partir de la connaissance acquise sur le béton fibré utilisé dans la construction du Grand Paris Express, nous avons désormais une vision plus claire sur ce qu’il y aurait encore à faire pour optimiser ce béton bas carbone. C’est un fait : nous allons bientôt pouvoir aller beaucoup plus loin dans notre stratégie bas carbone. » Et, au-delà des innovations techniques, les constructeurs comme Eiffage développent de plus en plus leur « mix matériautique » entre matériaux biosourcés – utilisés par exemple dans les nouveaux enrobés Recytal pour les routes –, matériaux anciens, revisités ou recyclés.
Au-delà de l’énergie, le secteur de la construction multiplie les initiatives pour doper la R&D. Parmi elles, Sekoya, club industriel lancé par Impulse Partners, spécialiste de l’incubation des innovations, et par la major française Eiffage, a pour vocation d’encourager toutes sortes de solutions permettant de limiter le réchauffement climatique dans les activités directement liées, ou connexes à la construction. Depuis 2019, les organisateurs priment chaque année les projets les plus pertinents avec un éventail de lauréats très large, de Celloz avec ses toitures biosourcées à base de résines végétales et de cellulose recyclées, à Gramitherm, panneau isolant fabriqué à partir de gazon, dont l’empreinte carbone est négative.
Côté mobilité, l’utilisation de camions de chantiers à moindre empreinte environnementale est essentielle pour réduire les émissions de CO2. Pour l’heure l’essentiel de l’effort est assuré par des véhicules tournant au biogaz, compte tenu de l’utilisation spécifique aux chantiers BTP. En effet » les constructeurs ne sont pas encore au point pour produire des camions qui roulent à l’électricité car nos contraintes de planning imposent d’avoir des engins roulant 24h/24, souligne Pascal Hamet, directeur du projet Ligne 16-1 du GPE chez Eiffage Infrastructures. Volvo par exemple, qui est un constructeur réputé et sérieux, considère qu’il n’est pas encore suffisamment avancé pour fournir les camions électriques dont nous aurions besoin. »
Le saut qualitatif attendu par le secteur viendra peut-être de Renault Trucks qui vient d’annoncer la commercialisation, en 2023, d’une gamme complète de camions électriques. « La mobilité électrique est le pilier de notre stratégie et nous avons l’ambition d’être les premiers dans ce domaine, a déclaré l’an dernier Bruno Blin, président de Renault Trucks. Nous visons une part de 35% de nos volumes en véhicules électriques en 2030. En 2040, la totalité de nos gammes de véhicules sera à 100% sans énergies fossiles. » Les principaux concurrents dans le domaine du transport routier – Daimler et Volvo – vont quant à eux unir leurs efforts, annonçant des premiers essais de piles à combustion à l’hydrogène vert d’ici 2025.
Energie, construction, transports, tous les secteurs industriels sont clairement liés entre eux par la transition écologique en cours. Pour « récompenser » les entreprises les plus actives dans le domaine, le gouvernement d’Edouard Philippe avait mis en place il y a trois ans le Label bas-carbone. En avril dernier, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a d’ailleurs lancé un nouvel appel aux entreprises souhaitant s’engager davantage dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Une quarantaine d’entreprises ont déjà reçu ce label, compensant ainsi 1 million de tonnes de CO2, « soit le bilan carbone annuel de 100000 Français », a précisé la ministre. Tous les secteurs industriels sont concernés, et savent qu’ils peuvent jouer un rôle de locomotive dans la transition énergétique. Il en va de leur responsabilité sociétale et environnement (RSE), entraînant dans leur sillage tout un écosystème de partenaires et de sous-traitants. En mettant au cœur de leur stratégie le développement bas-carbone, ce sont eux qui donnent le tempo de l’application des normes en la matière.