Pour que les paysans de l'Est Africain affrontent mieux la prochaine sécheresse, il faudrait qu'ils cultivent des plantes résistantes à la sècheresse comme le mil, le sorgho, le pois d'Angole. Pas si simple à faire! La promotion de ces variétés via des petits paquets d'expérimentation et le développement de marchés locaux pour ces cultures faciliteront leur adoption à plus grande échelle.
La Corne de l'Afrique fait face à sa pire sécheresse depuis 60 ans détruisant cultures, décimant le bétail et causant faim et famine dans certaines régions d'Ethiopie, Somalie, Djibouti, Kenya et Ouganda.
Les gouvernements et les organisations humanitaires commencent à prendre en charge les populations affectées, principalement des familles paysannes, distribuant de l'aide alimentaire ainsi que des intrants agricoles comme des semences pour qu'ils puissent replanter à la prochaine saison agricole.
Sachant que la sécheresse sévit régulièrement dans cette région - et les chercheurs disent que le changement climatique va probablement accentuer la fréquence et l'amplitude de ces phénomènes - nous devons utiliser l'opportunité de ces opérations d'urgence humanitaire pour soutenir des solutions de développement agricole de plus long terme. Dans les prochaines semaines, nous devons impliquer les populations paysannes touchées par la sécheresse et les acteurs de l'économie locale tels que les petits commerçants de village là où c'est possible, pour trouver des solutions durables pour préparer les communautés à la prochaine sécheresse.
C'est exactement ce que les agences des Nations Unies et les gouvernements de la région comme la Ministre de l'Agriculture Kenyane ont déclaré lors de la réunion d'urgence sur la Crise Alimentaire de la Corne de l'Afrique organisée au siège de la FAO à Rome la semaine dernière. La Ministre a demandé à promouvoir des plantes résistantes à la sécheresse.
De quelles plantes parle-t-on? Sorgho, mil, pois dAngole, niébé. Des céréales et des légumineuses adaptées à des conditions arides, beaucoup plus que le maïs qui est très populaire dans la région; des plantes qu'on classe dans la catégorie vivrière et qui devraient susciter plus d'intérêt de la part du secteur du développement, privé et des gouvernements locaux.
Ce concept n'est pas nouveau. En 2000, Un groupe de travail des Nations Unies sur la sécurité alimentaire dans la Corne de l'Afrique soulignait le besoin pour les paysans locaux d'adopter des cultures résistantes à la sécheresse. Cela n'est pas si évident. Pour que les paysans locaux adoptent ces cultures adaptées il faut encore qu'ils aient accès à des semences améliorées et qu'ils soient encourager à cultiver ces variétés à plus grande échelle.
UNE INNOVATION : DES PETITS PAQUETS DE SEMENCES
Eunice Makenga a une partie de la réponse. Elle tient un petit magasin dans le district de Nzaui au Kenya, et elle y vend semences, fertilisants et produits phytosanitaires. Elle est une des rares commerçantes à proposer des semences de sorgho, pois d'angole, niébé et haricots, plantes d'une grande tolérance à la sécheresse.
Elle achète ces semences sous forme de petits sachets d'essai à la ferme de Janey Leakey à Nakuru dans la vallée du Rift au Nord de Nairobi.
La petite entreprise semencière de Janey Leakey, Leldet seeds, est la première à se spécialiser au Kenya dans ces "cultures orphelines" et de proposer des petits paquets particulièrement adaptés aux petits paysans de la région.
"Je peux me permettre d'en avoir un stock car ils ne sont pas chers," dit Eunice. "C'est aussi un bon moyen d'amener les paysans à tester ces cultures. Mais la demande est encore timide. Les paysans ont besoin de plus d'incitation pour les acheter", ajoute-elle.
La réalité sur le terrain est que la demande et l'offre pour ces plantes de zone aride est faible dans cette région. Les paysans connaissent ces cultures qu'ils cultivent en petite quantité pour leur propre consommation mais se focalisent principalement sur les plantes commerciales comme le maïs qui ne réussit pas bien en période de sécheresse.
"Une partie de la solution pour réduire l'impact de la sécheresse est de cultiver des plantes qui sont adaptées au climat erratique", dit Leakey, qui a fondé la compagnie de semences Leldet il y a trois ans. " Quand vous regardez autour de vous dans les zones où les pluies ne sont pas venues, les paysans réussissent mieux avec le pois d'Angole, le sorgho et les haricots qu'avec le maïs. Mais, ils sont toujours motivés de cultiver le maïs l'an prochain, car c'est ça que le marché demande. ", ajoute-elle.
Bien que les semences adaptées à la sécheresse soient disponibles, les paysans sont lents à adopter les nouvelles variétés.
LE " BOUQUET LELDET"
" Nous disons aux paysans que diversifier ses cultures avec des plantes plus résistantes à la sécheresse est essentiel pour faire face aux aléas climatiques ", poursuit Janey. Pour les inciter, elle offre un "Bouquet Leldet": au lieu d'acheter 2kg de semences de maïs coûtant 300 shillings Kenyan (2,2 euros), le paysan peut avoir un mix de cinq paquets de semences de niébé, sorgho, haricot, pois d'Angole, mil ou maïs, pour un poids total équivalent. Le mix de cultures dans le " bouquet " est adapté à la localité du paysan.
A part le maïs hybride, peu de paysans en Afrique utilisent et achètent des semences améliorées de céréales ou légumes de milieu aride comme le sorgho ou le pois d'angole. Une des raisons des faibles rendements et susceptibilité aux maladies. La commercialisation de petits paquets d'expérimentation pour créer une demande locale est une démarche innovante, fruit d'une collaboration multiple.
Janey Leakey et d'autres petites entreprises semencières locales collaborent avec l'Institut de Recherche International sur les Cultures des Tropiques Semi-Arides (ICRISAT), le Centre International de l'Agriculture Tropicale (CIAT) et le Centre de Recherche Agricole pour le Développement en Afrique (IITA), trois centres internationaux de recherche agricole du Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale (GCRAI), ainsi qu'avec l'Institut de Recherche Agricole du Kenya (KARI) pour développer et distribuer des variétés à haut rendement et plus résistantes à la sécheresse et aux maladies dans le but d'améliorer la production des petits paysans dans ces régions arides.
Ce projet a aussi été soutenu par l'Alliance pour une Révolution Verte en Afrique (AGRA) pour vendre des semences améliorées sous forme de petits paquets adaptés aux besoins des petits cultivateurs pauvres, dans le but d'encourager une agriculture plus résiliente aux aléas climatiques. Les ventes de ces paquets montrent que cette approche permet de disséminer des variétés plus adaptées auprès des petits paysans, en particulier auprès des femmes plus ouvertes à l'innovation.
Les récoltes réussies que les acheteurs des "bouquets Leldet" ont eu malgré les rares pluies de ces derniers mois démontrent que ces semences peuvent jouer un grand rôle pour assurer la sécurité alimentaire des paysans de cette région aride.
UN BOOST DANS LES RECOLTES
Par exemple, une récente étude d'ICRISAT montre que les variétés améliorées de pois d'Angole ont un rendement supérieur de 38% par rapport aux variétés locales. Les variétés d'arachide et de pois chiche distribuées ont un rendement supérieur de 59% et 33% respectivement.
Avant d'avoir ces variétés améliorées, les rendements de ces "cultures orphelines" étaient particulièrement bas dans la région.
"Pour ces cultures vivrières traditionnelles, les paysans utilisent des grains de la précédente récolte, ou sur le marché local où la qualité des semences est faible ; Cela veut dire le plus souvent une faible germination ou de faibles rendements, " dit Janey Leakey.
Janey dit que les femmes sont souvent plus tentées de tester ses sachets. Le prix est abordable, le prix d'une tasse de thé dans certains cas, et cela permet d'expérimenter sur une petite parcelle la première année pour voir quels bénéfices ils peuvent en tirer.
Pour promouvoir ses paquets de semences, Janey parlent un langage que les femmes comprennent, avec par exemple le kit de trois paquets de sorgho, niébé et haricots vendus sous le nom de "pangusa njaa haraka" qui signifie "efface rapidement la faim" en Swahili.
Pour la femme qui achète ces semences, cela signifie qu'elle pourra donner du porridge de sorgho à ses enfants le matin, et des haricots et feuilles de niébé pour les autres repas après un temps de culture assez court. Les paysans aiment aussi tester les variétés précoces de pois d'Angole qui échappe à la sécheresse et nourrissent la famille (les pois), le bétail (les feuilles) et fournissent du bois de chauffe (la tige).
INCITER LEURS CULTURES PAR LE MARCHE
Pour fournir des semences adaptées et améliorées aux paysans de façon durable, nous devons renforcer le secteur semencier local qui est très fragile.
Les gouvernements de la région doivent mettre en place des politiques pour encourager les entreprises locales semencières à vendre des variétés améliorées de cultures résistantes à la sécheresse à des prix et format appropriés pour les petits producteurs. ICRISAT travaille dans ce sens avec l'Association Africaine du Commerce des Semences, qui fait pression auprès des gouvernements pour que les règles de certification de semences de qualité soit plus transparentes et homogènes entre pays, et que des aides soient accordées aux petites entreprises semencières locales pour la mise en place de réseau de distribution rural.
Au final, le marché dicte les règles. Les paysans ne cultiveront à grande échelle ces cultures de zone aride que s'ils sont convaincus que c'est la meilleure option pour gagner de l'argent. Inclure des cultures comme le sorgho dans les réserves stratégiques de grain nationales et dans les programmes Achat Pour Progrès (P4P) du Programme Alimentaire Mondial (PAM) peut aider dans un premier temps.
Imaginons le gouvernement Kenyan qui commande des tonnes de sorgho et autres cultures résistantes à la sécheresse pour remplir les silos de réserve stratégique. Les paysans verraient alors ces cultures sous un autre angle parce qu'ils sauront qu'il y a un marché preneur. Ils voudront acheter des semences pour la prochaine saison agricole. Et Eunice sera ravie de leur en proposer dans son magasin.
Et si les pluies se font rares l'an prochain, ces paysans pourront toujours récolter quelque chose et réussir à mieux faire face aux affres de la prochaine sécheresse.
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