Michel Vallée est directeur du Musée de société des Deux-Rives à Salaberry-de-Valleyfield. Il a posé un jalon important dans les liens de plus en plus ténu entre musées et développement durable. En respectant les normes muséologiques les plus actuelles, il a réussit à jouxter des critères de développement communautaire. Le tout grâce à une lecture bien personnelle de la muséologie d’intervention sociale.
Avec comme objectif d’intégrer les activités du Musée des Deux-Rives dans un contexte de développement communautaire, Michel Vallée a créé et vu à la mise à jour d’un concept de muséologie pour lequel il a été reconnu par ses pairs mais pour lequel le monde du développement durable n’a pas assez porté attention.
Cet entrepreneur social n’a pas eu de mal à identifier les besoins de sa communauté et à comprendre comment un musée pouvait devenir un outil de changement. Selon le site Internet du musée, un des objectifs du projet était celui de « faire voir à la population les côtés plus sombres de la région pour réfléchir sur nos responsabilités en tant que citoyens ».
Originaire de la région, il a souffert des tensions sociales d’un secteur oublié des autorités. Michel Vallée raconte qu’il « en a mangé des taloches ». Les jeunes de ces quartiers vivent la même chose aujourd’hui. « La meilleure taloche que je pouvais redonner c’était d’utiliser ce qui me passionne depuis le plus jeune âge. La force de la culture ».
En mettant en exergue la muséologie d’intervention sociale axé sur les jeunes décrocheurs et la population défavorisée il fait sortir le musée dans la rue. La muséologie d’intervention sociale est un concept virtuellement inconnu au Québec. C’est un coup de poing qui réveille dans une ville ou les problèmes sociaux « obligent à penser à la culture autrement ».
Indépendamment des circonstances locales, les gestionnaires de « Ma ville, ma vision, mon avenir » ont fait preuve d’une créativité et d’un sens de l’innovation déconcertant. Troisième volet du projet, l’exposition mobile « Se retrouver » (2008) n’a pas été conçue pour être derrière des vitrines. Il a permis à quatre jeunes décrocheurs d’affirmer leur volonté de prendre une place dans la communauté. Par le biais du projet, les jeunes ont tissés des liens tout en développant une meilleure confiance en leurs capacités. Le projet a aussi permis à ceux-ci de mieux connaître la communauté dans laquelle ils vivent. Le résultat final de leur effort s’est manifesté au cours des derniers mois par une exposition de photos accompagnée de courts textes. Le tout a été présenté dans un centre commercial achalandé.
Le thème en 2006 était « Visions changeantes », une exposition et un livre présentent la vision qu’ont les jeunes de leur milieu par 100 photographies et 100 courts textes. En 2007 c’était « Unir les différences ». Les participants ont rencontrés des résidents aux prises avec des préjugés dus à leurs différences (obésité, homosexualité, origines ethniques différentes, analphabétisme, etc.). Le projet muséal s’est traduit par la réalisation d’un livre et de l’installation d’immenses photographies aux abords d’un axe routier (488 m2). Il est estimé que l’installation a été vue par les passagers d’environ 125 000 voitures par semaine et ce pendant 5 mois.
L’entrepreneur social dans le monde muséal ne mesure toutefois pas uniquement sa performance par le biais d’indicateurs d’achalandage. Selon le musée, ce projet a rejoint 30 jeunes décrocheurs. On présuppose bien entendu qu’il a aussi touché leurs milieux immédiats (familles et amis). 26 participants sur 30 seraient retournés aux études ou auraient intégrés le marché du travail. Enfin, quelques projets jeunesses auraient vus le jour des suites de cette initiative.
Suite à une discussion avec Marcel Brisebois, ancien directeur du Musée d'art contemporain de Montréal, lui aussi originaire de Valleyfield, Michel Vallée a peaufiné sa stratégie après des recherches sur les modèles de muséologie les plus engagés. C’est ainsi qu’eu lieu le changement de nom de l’Écomusée vers le vocable « Musée de société ». La petite histoire veut que ce soit en 1980 que l’Écomusée des Deux-Rives vit le jour. Parmi les individus ayant vu naître l’Écomusée on comptait Marcel Brisebois lui-même.
Proche de son mandat initial, le musée de société est un musée qui s’intéresse à la population et qui valorise son patrimoine passé et actuel. « Par ‘patrimoine actuel’ on pense à l’héritage des problèmes sociaux de l’époque » explique-t-il.
« Attention, muséologie d’intervention sociale n’est pas synonyme avec accessibilité » souligne Michel Vallée. « L’intervention sociale c’est une action. On intervient dans la rue. Au lieu d’attirer le public dans un musée – ce qui est louable – on met nos manteaux et on va non seulement chercher le public mais on lui demande de concevoir l’exposition ». Le musée a travaillé de concert avec des travailleurs sociaux et des associations comme le PRAQ (Partenaires pour la revitalisation des anciens quartiers).
Dans l’avenir, le musée cherchera à établir de nouveaux concepts muséologiques pour éviter les effets négatifs de l’institutionnalisation. Les jeunes cèderont leurs places à des participants du 3e âge. Des thèmes chocs seront aussi abordés. Après la consommation de drogues dures, celui des mères filles exclues de plusieurs cercles sociaux. « Une autre triste réalité dans certains coins du Québec » explique Michel Vallée.
Il existe de nombreux exemples de secteurs défavorisés qui, en rapprochant la culture de la population, ont connus de belles expériences de redynamisation sociale. Dommage que de telles expériences ne viennent pas plus souvent brasser la cage des responsables du développement communautaire. La Ville de Sallaberry-de-Valleyfield a démontré une grande ouverture en permettant à l’énergie débordante de Michel Vallée de réellement brasser la cage dans sa communauté.
Ce type de projet est pratiquement inclassable. C’est le cas de nombreux projets d’entrepreunariat social innovateurs. Accessoirement, le projet du Musée de société des Deux-Rives devrait aussi brasser la cage de la communauté culturelle et muséale. Pour Michel Vallée, « rien n’empêche les grands musées de s’inspirer des principes de la muséologie d’intervention sociale ». Il s’agit peut-être justement d’enfiler son manteau. « Les ressources existent poursuit-il. Experts en muséologie, consultants en durabilité ou praticiens ».
Le pari réussi de Michel Vallée a été de participer à la réflexion sur le rôle des musées dans la société à l’heure des défis posés par la durabilité tout en repoussant les barrières de l’intervention sociale. Tout semble être sur la bonne voie pour que le musée de société dont il est en charge « devienne un véritable milieu de vie (…) c’est mon rêve » ajoute t’il. C’est son coup de poing.
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