Le Collectif scientifique est vivement préoccupé par la direction que semble prendre l'évaluation environnementale stratégique (ÉES) commandée par le gouvernement du Québec en réponse à l'une des principales recommandations du BAPE sur le développement durable de l'industrie du gaz de schiste au Québec.
Notre inquiétude tient d'abord à la composition du comité chargé de l'ÉES. Le Collectif déplore l'absence de représentants d'organisations citoyennes et de groupes environnementaux. Une telle représentation s'impose afin de porter un regard plus éclairé sur la question et d'assurer une plus grande crédibilité aux travaux du comité, dont une large majorité des membres choisis seraient a priori favorables à l'industrie gazière. Le Collectif tient aussi à exprimer son étonnement devant l'absence de certaines compétences reconnues et indépendantes au sein du Comité ÉES. En effet, dès l'appel à candidature, le gouvernement avait exclu plusieurs champs de compétence qui auraient permis de mieux cerner de façon systémique et globale les enjeux liés au gaz de schiste et de statuer de façon plus rigoureuse sur la pertinence de son exploitation. Entre autres, ont été écartées les contributions d'experts en politique énergétique, en économie, en comptabilité publique, en sociologie, en santé publique, en aménagement et agriculture et autres champs d'études.
Notre deuxième préoccupation concerne le mandat confié au Comité. Il importe de ne pas restreindre l'ÉES (évaluation à caractère environnemental et stratégique, faut-il le rappeler) à une étude de rentabilité commerciale et à l'examen des technologies d'extraction disponibles, voire à la recherche de la solution technique la plus acceptable. Le portrait qui se dégage de la composition du comité et surtout, certaines déclarations récentes de l'industrie donnent l'impression que cet exercice serait avant tout inspiré de considérations à caractère politique et correspondrait en fait à une campagne de communication. Or, l'évaluation environnementale stratégique doit être basée sur une véritable démarche scientifique dont le but premier est de statuer sur la pertinence du projet de développement du gaz de schiste en fonction de critères explicites, justifiés et validés.
En tant que scientifiques, nous insistons sur l'adoption d'une grande rigueur méthodologique dans la démarche de l'ÉES, de façon à mieux répondre aux nombreuses préoccupations manifestées par les citoyens au cours du débat sur la question. Une telle démarche scientifique se base sur les principes fondamentaux suivants.
D'abord, l'équipe de recherche, ici principalement le Comité chargé de l'ÉES, doit clarifier dès le départ sa compréhension du mandat et expliciter son cadre de référence (cadre théorique, intérêts, valeurs, etc.) puisque l'on sait combien celui-ci influence la
démarche aussi bien que l'interprétation des résultats de la recherche. Ici, un débat au sein du Comité s'avère essentiel.
Ensuite, la première étape de l'évaluation proprement dite consiste à produire un état exhaustif de la question, permettant de cerner la complexité des questions et des problèmes soulevés (concernant l'eau, l'air, la santé, la biodiversité, l'économie, etc.) et de faire la synthèse critique des informations existantes sur ces aspects du projet. Au-delà des connaissances relatives au cimentage ou au cocktail d'additifs chimiques dans la fracturation, il s'agit d'examiner les enjeux majeurs, d'ordre socio-économique, sanitaire et environnemental, à court et à long terme, à l'échelle locale, régionale et globale. Cet état de la question doit se baser sur une revue de la littérature (recension d'écrits) et doit tenir compte des nombreux rapports scientifiques et résultats d'enquêtes publiés au cours des derniers mois, incluant les études réalisées sur le terrain au Québec et ailleurs. Notons ici que plusieurs publications récentes sont venues confirmer les problèmes et les risques relatifs aux travaux d'exploration et d'exploitation du gaz de schiste (radioactivité, contamination de l'eau par le méthane, toxicité des additifs, bilan de la production de gaz à effet de serre, fracturation sociale des communautés, etc.).
La deuxième étape est celle de la caractérisation du milieu visé : " un portrait géophysique, humain et économique des régions concernées " (BAPE, p. 223). En effet, sans une prise en compte sérieuse du contexte d'implantation, il est impossible de faire une évaluation rigoureuse de la filière du gaz de schiste. Il importe par exemple de mieux connaître les structures géologiques aux échelles régionale et locale, les eaux souterraines, les écosystèmes touchés, les caractéristiques socio-économiques des territoires visés, etc. Il faut ensuite mettre à profit les sources de données existantes en vue de faire des diagnostics et des constats: l'examen des puits déjà forés et fracturés au Québec constitue une base suffisante pour les connaissances recherchées à l'échelle locale. De plus, on pourra faire appel aux connaissances relatives aux dizaines de milliers de puits existants à l'extérieur du Québec, tout en prenant en compte les similitudes et les différences. Quelques nouveaux forages ou nouvelles fracturations ne permettront pas d'évaluer les impacts cumulatifs des activités gazières; par ailleurs, ils perturberont les milieux concernés et entraîneront des risques inutiles. En ce sens, nous rappelons qu'un moratoire s'impose, tel que déjà demandé à répétition par des centaines de milliers de Québécois, individuellement ou via leurs organisations.
La troisième étape consiste à suivre une règle méthodologique fondamentale : situer l'option de l'exploitation des gaz de schiste au regard du statu quo et surtout, au regard des filières énergétiques existantes et en voie de développement - en particulier en ce qui a trait aux énergies renouvelables. Seul un tel exercice permettra d'avoir une vision d'ensemble de la situation et de répondre à la nature stratégique de cette étude qui doit d'abord vérifier si le gaz de schiste s'inscrit ou non dans une planification énergétique responsable et durable au Québec.
Ce n'est qu'au terme de ces étapes que le Comité pourra envisager - s'il y a lieu - un devis de recherche expérimentale pour recueillir de nouvelles données sur les opérations de forage et de fracturation, en vue entre autres d'identifier les technologies qui posent le
moins de risques. Si une telle démarche devait avoir lieu - après avoir démontré qu'elle est absolument nécessaire -, un protocole déontologique devra d'abord être rigoureusement développé et validé avec l'ensemble des acteurs sociaux concernés.
Enfin, nous insistons sur le point transversal suivant : l'ÉES doit se dérouler en toute transparence et dans une dynamique participative avec les citoyens. Il importe de prévoir des stratégies d'échange en continu entre le public et le Comité chargé de l'ÉES. Plus spécifiquement, il faut planifier dès maintenant des moments de consultation publique aux étapes cruciales de la démarche. En effet, l'une des caractéristiques de l'évaluation environnementale stratégique et l'une des conditions sine qua non de sa légitimité et de son efficacité est la participation du public tout au long de la chaîne de décisions. Comme le rappelle le BAPE, une participation effective et efficace des citoyens suppose pour le moins que toute l'information nécessaire leur soit accessible. À ce jour, force est de constater que la définition du mandat, le processus de sélection et les critères de choix des membres du comité n'ont pas répondu aux exigences de transparence et de consultation qui s'imposent. De plus, le gouvernement n'a pas clarifié auprès des citoyens (de toutes les sphères de la société civile) la nature et les modalités de leur contribution potentielle dans le processus de l'évaluation environnementale et stratégique.
En tant que scientifiques, nous constatons que l'ÉES telle qu'elle se présente à l'heure actuelle ne répond pas aux attentes en ce qui a trait à la pertinence et la rigueur nécessaires dans le cadre d'une telle démarche. Sans des correctifs importants quant au mandat du Comité, sans des ajouts significatifs en matière de ressources compétentes, sans un rigoureux plan de travail, sans une transparence qui garantisse la participation du public, nous craignons que cette étude devienne un exercice stérile, voire une imposture.
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