Par David Suzuki. Un jour, en 1952, mon prof d’instruction civique de 3e secondaire nous a demandé ce que nous voulions faire plus tard. L’un des gars les plus populaires de la classe a répondu : « Je veux faire de la politique. » Nous étions ravis, car nous savions qu’il voulait rendre le Canada et le monde meilleurs. Il avait toute notre admiration.
Les choses ont changé en un demi-siècle. En 1992, ma fille Severn, qui avait alors 12 ans, a créé un petit émoi dans un discours au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro lorsqu’elle a reproché aux délégués de ne pas protéger l’avenir des enfants. « Vous, les adultes, vous nous dites que vous nous aimez, et bien faites donc ce que vous dites », a-t-elle lancé.
Dans une entrevue à son retour au Canada, Vicki Gabereau, de CBC Radio, lui a demandé : « Alors, Severn, quand vas-tu te lancer en politique ? » La réponse de ma fille m’a sidéré : « Est-ce que c’est une insulte ? » Pour sa génération, la politique n’était une carrière ni valorisée ni inspirante. Sa réponse m’a fait prendre conscience que je dénonçais constamment les politiciens qui faisaient de grandes déclarations sans passer à l’action. Pour un enfant, mes critiques laissaient entendre que les politiciens étaient des hypocrites.
La démocratie est loin d’être parfaite, mais elle est quand même meilleure que les autres régimes. Nous devons tout faire pour l’améliorer. Autrefois, les femmes n’avaient pas le droit de vote parce qu’on les jugeait incapables de prendre des décisions. Les Afro-Canadiens et les Canadiens asiatiques, même nés ici comme mes grands-parents, n’ont eu le droit de vote qu’en 1948. Les Autochtones de ce pays ne l’ont eu qu’en 1960 ! L’homosexualité a été un délit jusqu’en 1969. Il est possible de faire évoluer nos systèmes politiques et judiciaires, mais il faut y mettre du nôtre.
Lorsque bien plus de la moitié d’entre nous ne vont même pas voter aux élections fédérales, provinciales et municipales, la démocratie prend le bord. Comme citoyen, nous devrions avoir le devoir de participer aux consultations démocratiques, comme c’est le cas en Australie où le vote est obligatoire.
Nous élisons des gens pour qu’ils agissent dans notre intérêt et, en contrepartie, nous leur faisons bénéficier de divers avantages : reconnaissance, respect, bon salaire, bureau, personnel de soutien, voitures, chauffeurs et avions. C’est grâce à nous, contribuables, que ces politiciens sont en poste. Je n’ai rien contre cela. Ils sont à notre service, et nous voulons qu’ils fassent le meilleur travail possible.
Je me demande souvent ce qui a mal tourné, bien que je comprenne pourquoi les gens sont devenus cyniques envers la politique et les politiciens. J’ai rencontré et encouragé assez de politiciens néophytes débordants d’enthousiasme et d’énergie pour m’apercevoir plus tard que leur idéalisme et leur sens du devoir cédaient le pas à une suffisance qui conduisait à l’arrogance. Ce n’est pas toujours le cas, heureusement, mais c’est assez fréquent, surtout si la personne devient ministre.
On dirait souvent que les politiciens font passer les intérêts des entreprises avant ceux des citoyens qui les ont pourtant élus. Lorsqu’il était premier ministre, Stephen Harper évitait toute discussion sur les changements climatiques, même si le Canada y est plus vulnérable que la plupart des pays industrialisés. Il nous a sortis du Protocole de Kyoto en alléguant que la réduction des émissions de gaz à effet de serre « détruirait l’économie ». Cette affirmation allait à l’encontre de toutes les preuves venues de pays comme la Suède ou le Danemark dans lesquels la réduction des émissions s’accompagnait d’une croissance économique. Placer l’économie au-dessus de l’atmosphère qui assure la vie et qui conditionne le climat et la météo est un cas flagrant d’aveuglement volontaire qui aura des répercussions sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants.
Beaucoup d’entre nous ont pensé que les choses changeraient après l’élection de Justin Trudeau. Il a remis les changements climatiques à l’ordre du jour du Parlement. Nous nous sommes réjouis de la prise de position ferme du Canada au Sommet de Paris. Deux ans plus tard, nous devons nous demander « Que s’est-il passé ? » Pour atteindre la cible fixée à Paris, la science a prouvé qu’il fallait laisser dans le sol la plupart des réserves de combustibles fossiles connues. Cela signifie l’arrêt de l’exploration de toute nouvelle source, des subventions à l’industrie des énergies fossiles et de la construction d’oléoducs, ainsi que l’abandon progressif de la fracturation et des forages en mer.
Nous devons aussi subventionner l’expansion des énergies renouvelables, trouver des techniques d’entreposage de l’énergie, reboiser de grands territoires et proscrire les produits jetables.
Chacun d’entre nous a le devoir de modifier son mode de vie pour minimiser son empreinte carbone, mais il faut aussi que nos élus redoublent d’efforts pour retrouver notre confiance. Notre marge de manœuvre pour éviter le chaos climatique est mince. Nous devons faire appel à notre responsabilité citoyenne pour rappeler à nos élus que le Canada doit respecter ses engagements. L’Accord de Paris est l’engagement le plus important que nous n’ayons jamais pris.
Source: Fondation David Suzuki
Traduction : Michel Lopez et Monique Joly
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