En prenant place à la conférence internationale de Yokohama sur les villes Eco² (Eco² Cities) parmi les membres de la Banque Mondiale, coorganisatrice de l'évènement, je ne m'attendais certainement pas à entendre parler de co-création et de société du partage. Pourtant, lors de l'intervention de Shinsuke Ito, directeur adjoint du bureau de promotion des infrastructures et des systèmes avancés au METI[1], c'est bien de cela qu'il s'agissait.
" Eco² Cities : Ecological Cities as Economic Cities " est une initiative lancée l'année dernière par la Banque Mondiale dans le but d'aider les villes des pays en développement à atteindre une pérennité économique et écologique en leur proposant un cahier des charges analytique et opérationnel regroupant les meilleures pratiques déjà mises en place dans différentes villes. L'objectif de cette initiative est également de construire un partenariat durable entre ces villes et les acteurs clés du secteur de l'éco-urbanisme.
C'est dans ce cadre que Shinsuke Ito est venu présenté les premiers résultats du " Working Group 2050 ", un groupe de travail créé par le METI en 2008 afin de rechercher des solutions qui permettraient de diminuer de 50% les émissions de dioxyde de carbone au niveau mondial et de 60 à 80% au Japon tout en augmentant la qualité de vie des citoyens.
Parmi les nombreuses réflexions menées sur le sujet, deux idées particulièrement surprenantes ont émergé. Ce sont ces deux notions que Shinsuke Ito est venu partager lors de cette conférence.
Il a commencé par présenter la notion d'économie du partage, dont l'essence est de passer d'une logique de production, dans laquelle chaque individu possède l'ensemble des biens de consommations qu'il peut être amené à utiliser, à une logique d'usage, où l'objectif est cette fois de produire un nombre total de biens permettant, par le partage, de répondre aux besoins d'utilisation de chacun, tout en optimisant ainsi les ressources consommées. L'instauration d'un tel système de partage présente deux avantages indéniables. D'une part, limiter la multiplication inutile des biens et sortir de la culture du " tout-jetable " en favorisant la réutilisation et le recyclage. D'autre part, réduire la fragmentation de notre société en restaurant la connectivité entre les individus.
" En effet, plutôt que d'acheter ou jeter immédiatement quelque chose, il serait naturel de commencer par communiquer avec ses voisins et voir ainsi ce dont ils peuvent avoir besoin ou au contraire ce qu'ils peuvent prêter. "
La seconde notion présentée par Shinsuke Ito, est celle de société de co-création, dans laquelle chaque individu participe à sa manière au développement de la société et où les meilleures idées naissent dans la coopération plutôt que dans les seules têtes des " professionnels " (politiques, chercheurs, bureaucrates, ...). Cela revient finalement à horizontaliser les relations, que ce soit entre le gouvernement, les entreprises et les citoyens, mais également entre les pays les plus industrialisés et les pays en développement. Les plus puissants ne se contenteraient alors plus de dicter la " bonne marche à suivre " aux autres mais travailleraient au contraire avec eux en partageant leurs expériences dans le but de construire ensemble les meilleures solutions possibles.
" Les solutions que vous proposez ne sont-elles pas en contradiction directe avec le fonctionnement actuel de notre société basé sur les principes du capitalisme ? " Cette question posée par l'un des responsables de la banque mondiale illustre bien ce décalage entre le contenu du discours de Shinzuke Ito et le contexte dans lequel il fut prononcé. La réponse à cette question me parut néanmoins convaincante : il ne s'agit pas de supprimer la propriété individuelle et de créer un ensemble de communautés de bien, mais plutôt de partager l'utilisation de ces biens, afin d'en éviter la multiplication inutile et ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Wikipedia, Linux, dispositifs de gestion concertée des besoins en eaux ou encore systèmes de covoiturage sont finalement autant d'outils reprenant ces deux concepts et qui ont déjà largement fait leurs preuves.
Un autre moyen concret de mettre en application ces deux concepts est l'installation de " Communautés intelligentes ", qui sont conçues actuellement à l'échelle d'un voisinage ou d'un quartier. Le principe de ces communautés est de créer des espaces partagés afin d'optimiser les ressources de la zone habitée et d'améliorer la communication entre ses habitants. Partage de la nature environnante et des lieux communs ; partage d'équipements, voitures, électroménager, outils, pour maximiser leur utilisation ; et bien sûr partage de l'énergie. Cette gestion commune de l'énergie faciliterait grandement la mise en place de projets locaux de génération d'énergie et augmenterait les possibilités d'utilisation directe de l'énergie, sans forcément passer par l'électricité, limitant ainsi les pertes liées à la conversion et à l'acheminement de l'électricité. Cette organisation serait soutenue par la création d'un centre névralgique, regroupant la gestion de l'énergie, de l'eau ou encore des déchets du voisinage. Des projets de ce type ont déjà vu le jour dans certaines villes japonaises comme Yokohama, Kitakyushu ou encore Toyota, et les premiers résultats sont très prometteurs.
Aujourd'hui, de nombreux pays s'engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre tout en souhaitant améliorer la qualité de vie de leurs citoyens. Pour atteindre cet objectif, il me semble essentiel de commencer toute réflexion en s'appuyant sur les atouts de notre société. Et à l'heure où les êtres humains n'ont jamais eu autant de moyens de communication à leur disposition, l'idée de généraliser les notions de partage et de co-création a réellement du sens. Si cela peut par la même occasion permettre de réduire nos émissions, l'idée est doublement séduisante. Cette proposition peut vous sembler utopique. Pourtant, de nombreuses initiatives allant dans ce sens ont déjà connu un grand succès, alors pourquoi pas ?
[1] Ministère japonais de l'économie, du commerce et de l'industrie
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