Considéré jusqu'à présent comme une source d'émissions de gaz à effet de serre, captant via les sols du bassin versant le CO2 fixé par la forêt tropicale pour le relarguer vers l'atmosphère, le fleuve Amazone révèle en fait un bilan carbone équilibré. En effet, une nouvelle étude montre que le CO2 dégazé par le fleuve est uniquement puisé au sein du système fluvial lui-même, par la végétation semi-aquatique des plaines d'inondation. Ainsi, l'Amazone recycle le CO2 de son propre système fluvial, et non celui fixé par la forêt tropicale, rejetant vers l'atmosphère autant de gaz carbonique qu'il en absorbe. Cette étude, coordonnée par des chercheurs des laboratoires GET (IRD, OMP, CNRS, CNES, UPS) et EPOC (OASU, CNRS, Université Bordeaux 1) et publiée dans la revue Nature, change la donne pour les bilans globaux de carbone.
L'Amazone recycle son propre CO2
L'étude apporte une conception nouvelle du cycle du carbone en Amazonie, et plus généralement sur les continents. Jusqu'à présent, les scientifiques pensaient que les fleuves étaient alimentés en carbone par les arbres et autres plantes terrestres via les sols du bassin versant. Ce carbone est alors transformé en CO2 et réémis par dégazage vers l'atmosphère. Les cours d'eau, et en particulier le géant Amazone, étaient ainsi considérés comme des sources nettes d'émission, rejetant plus de CO2 qu'ils n'en absorbent. Or, les chercheurs viennent de démontrer que le CO2 dégazé par les eaux de l'Amazone est en réalité uniquement puisé dans le système fluvial lui-même. Ce CO2 provient de la décomposition de la matière organique produite par la végétation semi-aquatique des zones humides amazoniennes. Le fleuve agit ainsi, à l'inverse de ce que l'on pensait, comme une " pompe à CO2 ".
Le lien entre végétation aquatique et émission de CO2
Une dizaine d'équipes françaises et brésiliennes dans le cadre du projet ANR-CARBAMA et de l'observatoire de recherche en environnement HYBAM ont mené de nombreuses campagnes de terrain en Amazonie et analysé des images satellitaires. Les mesures de la concentration en CO2 dissous de l'eau comparée à la cartographie de la végétation par satellite ont montré une très forte corrélation entre l'intensité du dégazage de CO2 et la superficie de végétation inondée et de plantes aquatiques flottantes. Cette relation proportionnelle se vérifie à deux niveaux. D'une part dans le temps, lorsque le niveau d'eau varie au cours de l'année. D'autre part dans l'espace, lorsque la proportion de végétation diminue depuis l'amont de la zone d'étude, où la forêt inondée domine, vers l'aval, où s'étendent majoritairement des lacs.
La totalité des émissions couvertes par les zones humides
L'Amazone émet par dégazage quelque 200 000 tonnes de carbone par an. D'après les estimations des scientifiques, la plus grande partie de ces émissions provient de la respiration des racines et de la chute puis de la dégradation de la végétation semi-aquatique des plaines d'inondation. En effet, les chercheurs ont montré un très fort taux d'exportation vers le milieu aquatique de la production primaire brute des zones humides amazoniennes : la moitié de ce carbone, sous forme de CO2 dissous et de matière organique biodégradable, est transférée directement au fleuve. Cette quantité de CO2 est équivalente aux 200 000 tonnes de carbone annuels dégazés. Ainsi, le bilan de carbone du système fluvial en Amazonie centrale est proche de l'équilibre : ses eaux rejettent vers l'atmosphère la même quantité de carbone que celle fixée par sa végétation.
Néanmoins, cette étude souligne la très forte contribution aux émissions de CO2 par les eaux continentales. Elle met en lumière la nécessité de considérer dans les bilans globaux de carbone les propriétés spécifiques des zones humides.
Partenaires
Onze laboratoires ont contribué à cette étude. En France : EPOC (Bordeaux), GET (Toulouse), LOG (Wimereux), IPGP (Paris), BOREA (Paris), ISTO (Orléans) ; au Brésil : Univ Federal de Juiz de Fora (Minas Gerais), Univ. Federal Fluminense (Rio de Janeiro), Univ. de Brasília (Distrito Federal), Univ. Estadual de Santa Cruz (Bahia) ; au Pays-Bas : NIOZ (Texel).
Références
Abril G., Martinez Jean-Michel, Artigas L.F., Moreira-Turcq Patricia, Benedetti M.F., Vidal L., Meziane T., Kim J.-H., Bernardes M.C., Savoye N., Deborde J., Albéric P., Souza M.F.L., Souza E.L. and Roland F. Amazon River carbon dioxide outgassing fuelled by wetlands. Nature, 2013, doi:10.1038/nature12797.
Bon à savoir
Trois quarts des surfaces inondées sur les continents sont des zones humides. Le rôle de ces écosystèmes particulièrement productifs en matière organique dans le bilan de carbone des eaux continentales est méconnu.
Le CO2 dissous dans les eaux du fleuve peut être transporté sur des dizaines ou des centaines de kilomètres avant d'être réémis vers l'atmosphère, lorsque la pression de gaz carbonique dans l'eau s'équilibre avec celle de l'air.
Glossaire
Zone humide : espace de transition entre la terre et l'eau, inondé ou gorgé d'eau douce, salée ou saumâtre, de façon permanente ou temporaire. La végétation y est dominée pendant au moins une partie de l'année par des plantes aquatiques capables de fixer directement le CO2 de l'air.
Production primaire brute : quantité de matière organique produite par photosynthèse.
Contacts
Gwenaël Abril, à l'université Bordeaux 1
g.abril@epoc.u-bordeaux1.fr ; Tél. : 33 (0)5 40 00 29 58
Laboratoire Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux - EPOC (OASU, CNRS, Université Bordeaux 1)
Jean-Michel Martinez, chercheur à l'IRD
jean-michel.martinez@ird.fr ; Tél. : 33 (0)5 61 33 26 21
Patricia Moreira-Turcq, chercheuse à l'IRD
Laboratoire Géosciences Environnement Toulouse - GET (OMP, IRD, CNRS, CNES, UPS)
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