Une partie du mercure issu des activités industrielles et domestiques
(combustion d'hydrocarbures et de charbon), est balayée par les vents
vers l'Arctique et l'Antarctique. Ce mercure d'origine anthropique
s'ajoute à celui d'origine naturelle et rentre dans la chaîne
alimentaire. Or ce métal lourd est un puissant perturbateur endocrinien,
capable d'inhiber la production d'hormones nécessaires à la
reproduction. En zone polaire, on savait que de nombreux oiseaux marins
tels que les skuas accumulent cet élément toxique à des concentrations
élevées dans leurs tissus. Cependant, les effets à long terme sur leurs
effectifs n'étaient pas connus.
Pour la première fois, les
chercheurs ont réalisé un suivi démographique sur une période de dix ans
sur deux espèces d'oiseaux marins : les skuas vivant sur les îles
Kerguelen (zone subantarctique) et ceux peuplant la Terre Adélie (en
Antarctique). Les skuas sont des oiseaux migrateurs qui se nourrissent
essentiellement d'oeufs et de poussins de manchots, ainsi que de
poissons. Prédateurs redoutables qui vivent 25 ou 30 ans, les skuas
accumulent du mercure dans leurs tissus.
Les chercheurs ont tout
d'abord capturé une centaine de skuas antarctiques et subantarctiques.
Après une prise de sang pour mesurer leur taux de mercure, ils les ont
bagués et relâchés. Pendant dix ans, les chercheurs sont revenus sur
leur site de ponte pour observer leur succès reproducteur. Les skuas
peuvent élever un ou deux poussins par an.
Première
constatation, les skuas subantarctiques présentent des concentrations de
mercure trois fois plus élevées que celles de l'espèce antarctique. Les
chercheurs ont montré chez les deux espèces que, plus le taux de
mercure est élevé, moins les oiseaux ont des chances de se reproduire
avec succès et en particulier d'élever leur(s) poussins. De façon
inattendue, c'est chez l'espèce la moins contaminée, le skua
antarctique, que les effets de ce métal lourd sont les plus prononcés.
Il est possible qu'en Terre Adélie, les conditions environnementales
plus sévères, couplées à la présence croissantes d'autres polluants
(pesticides, PCB), amplifient l'impact de la contamination par le
mercure.
Ces résultats prouvent que les polluants qui
s'accumulent dans les zones polaires constituent une véritable menace
pour la biodiversité. Les modélisations des chercheurs montrent que si
la contamination au mercure continue d'augmenter, les populations de
skuas pourraient à long terme décliner. Les chercheurs appellent à mener
d'autres enquêtes toxicologiques et démographiques pour d'autres
espèces australes. Ils conduisent d'ailleurs des études similaires pour
mesurer les effets sur les populations d'oiseaux de polluants "
classiques ", tels que les pesticides et d'autres métaux lourds, ainsi
que de molécules nouvelles comme les composés perfluorés qui
s'accumulent également en Antarctique.