A l'occasion de la journée mondiale de la biodiversité, Jacques Tassin revient sur le rapport de l'IPBES de mars dernier alertant sur le recul de la biodiversité mondiale. Ecologue au Cirad, il était impliqué parmi 550 experts. Il s'est intéressé à l'état de la biodiversité du continent africain.
Vous êtes intervenu comme expert auprès de l’IPBES dans l’évaluation de la crise que traverse la Terre en matière de biodiversité. Quel bilan dressez-vous ?
Jacques Tassin : Le constat est hélas très consensuel : partout, l’environnement se dégrade, la biodiversité recule. Nos modes de vie et nos modèles agricoles sont délétères. D’ici 2050, 38 % à 46 % des espèces animales et végétales pourraient disparaître de notre planète.
Qu’en est-il des chiffres du recul de la biodiversité en Afrique ?
J.T. : Ils sont hélas particulièrement parlants ! Cela va très vite sur le continent africain. Les points de non-retour se multiplient. La mort récente du dernier mâle de rhinocéros blanc au Kenya a été très médiatisée. Mais cela ne constitue qu’un exemple parmi de très nombreux autres. L’accroissement démographique, la dégradation des habitats et le réchauffement climatique constituent les causes majeures d’un tel déclin. La moitié des oiseaux et des mammifères africains est appelée à disparaître d’ici 2050.
Or, plus que tout autre continent, l’Afrique dépend fortement de ses ressources vivantes. Plus de 62 % de sa population dépend directement des services rendus par la nature. Ce sont les conditions mêmes de son essor qui sont compromises. Et en 2050, il faudra compter avec une population africaine deux fois plus nombreuse.
Que contient le rapport auquel vous avez contribué ?
J.T. : Il s’est agi, durant trois ans, de produire une évaluation de l’état de la biodiversité et des services écosystémiques dans les quatre grandes régions du monde : Amérique, Afrique, Asie-Pacifique et Europe-Asie centrale. Ce travail a mobilisé 550 experts. La présentation des grandes lignes du rapport pluri-régional a été très soignée. Son retentissement médiatique est d’autant plus fort qu’au même moment, les résultats d’autres études ont été révélés au public. C’est notamment le cas en France, avec la mise à connaissance de la poursuite du déclin spectaculaire des populations d’oiseaux, bien après le remembrement et l’usage d’organochlorés des années 1970. Malheureusement, toutes ces tendances convergent vers un même déclin.
Nous étions une centaine d’experts travaillant à l’évaluation conduite sur le continent africain, dont les deux tiers étaient eux-mêmes issus du continent.
Que pensez-vous de ce type d’évaluation mondiale ?
J.T. : Les données chiffrées produites par l’IPBES sont indispensables et utiles. Elles permettent de mesurer la vitesse d’une détérioration de notre propre milieu de vie. Elles devraient, espère-t-on, infléchir les prises de décision des politiques. J’ai le sentiment, cependant, que nous restons encore trop dans la quantification du vivant. Et que paradoxalement, nous le perdons de vue. Notre monde contemporain se virtualise, se numérise, s’artificialise et se technicise, s’enquiert de nos seuls besoins matériels. Or c’est bien notre mode de vie, qui est la cause première de l’érosion de la biodiversité.
Il faut changer notre fusil d’épaule. Il est temps que les philosophes, les socio-psychologues et, pourquoi pas les poètes, les sages et les dignitaires traditionnels, soient invités à leur tour à la table des réflexions et des négociations internationales sur la biodiversité. Tenir compte des « savoirs autochtones », comme l’a fait l’IPBES1 dans cette évaluation, est un premier pas.
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Source : Cirad
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