Retour au bercail toxique des saumons
Les saumons migrateurs sont un symbole de la volonté de vivre et de se reproduire, mais d’après une étude d’avant-garde menée par un scientifique canadien, ils sont aussi de puissants messagers toxiques. Durant les 95 p. 100 de leur vie qu’ils passent en mer, ces poissons accumulent des biphényles polychlorés (BPC) dans leurs tissus adipeux. Ensuite, dans un retour toxique à leur lieu de naissance, ils transportent cette toxine en amont jusqu’à leurs frayères situées en eau douce.
« Lorsque les saumons migrent en grand nombre vers leurs lacs de ponte, ils frayent et meurent, puis lorsqu’ils se décomposent, les BPC qu’ils ont accumulés durant leur vie sont libérés d’un seul coup dans l’environnement », déclare M. Jules Blais, professeur de biologie à l’Université d’Ottawa appuyé par le CRSNG et auteur principal d’un rapport publié dans le numéro du 18 septembre de la revue scientifique Nature.
D’après les teneurs en BPC décelées chez le saumon sockeye du Nord de l’océan Pacifique, son sujet d’étude, un million de ces poissons libèrent en une même explosion toxique les mêmes concentrations de BPC que l’on retrouve dans les émanations d’incinérateurs de déchets dangereux.
Le rapport de 500 mots présente trois années de recherche effectuée dans les lacs de l’île Kodiak, en Alaska. Les chercheurs ont analysé les sédiments benthiques de divers lacs dont la population de saumons reproducteurs varie entre aucun individu et une forte concentration d’individus.
« Plus il y a de poissons, plus il y a de BPC », explique M. Blais.
Les sédiments d’un lac où les saumons étaient abondants contenaient dix fois plus de BPC que les sédiments d’un lac voisin sans saumons. La détermination de l’empreinte chimique du type de BPC identifie clairement les poissons comme la source des BPC contenus dans les sédiments. Ces composés sont utilisés dans les transformateurs électriques et se forment en tant que sous-produits dans de nombreux procédés chimiques industriels.
L’étude sur les saumons a été menée à la suite de travaux de recherche du ministère des Pêches et des Océans du Canada qui ont documenté chez les épaulards de la côte du Pacifique des concentrations de BPC parmi les plus élevées du monde jamais enregistrées chez un animal marin. Il ne faisait aucun doute que les BPC trouvés dans ces épaulards provenaient d’un échelon inférieur de la chaîne alimentaire.
Les résultats de cette recherche s’ajoutent aux preuves croissantes et souvent étonnantes concernant la façon dont les BPC et d’autres polluants sont transportés dans des endroits éloignés par le vent, l’eau, et maintenant les poissons.
« Je pense que la vraie leçon à tirer de cette histoire est qu’il faut réfléchir sérieusement à ce que nous libérons dans l’environnement », conclut M. Blais, dont les travaux en cours exploreront ce qui advient des BPC une fois qu’ils sont libérés dans ces lacs nordiques. « Dans les années 20, lorsque les BPC ont été produits pour la première fois, personne ne pensait qu’ils pourraient avoir des effets néfastes, et maintenant, nous constatons qu’ils sont transportés dans l’atmosphère jusque dans l’Arctique ainsi que par les saumons migrateurs jusque dans des lacs où personne n’aurait songé que cela puisse se produire. »
Source : L'Hebdo-média du CRSNG, 17 septembre 2003
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