Dans le cadre de l'étude la plus complète réalisée jusqu'à présent
sur le sujet, 5 167 espèces africaines d'eau douce ont évaluées par 200
scientifiques sur une période de cinq ans pour la Liste rouge UICN des
espèces menacées™, dont tous les poissons d'eau douce, mollusques,
crabes, libellules et demoiselles connus, ainsi que quelques familles de
plantes aquatiques. L'agriculture, l'extraction d'eau, les barrages et
les espèces exotiques envahissantes sont les principales menaces qui
pèsent sur ces espèces.
L'étude met en lumière l'état menacé de notre environnement naturel et
comporte des informations essentielles pour les décideurs en vue de
l'exploitation et la gestion des ressources en eau douce sur le
continent africain. Les résultats sont particulièrement importants pour
les gestionnaires, puisque les espèces ont été cartographiées et
rattachées à leurs bassins hydrographiques respectifs.
" Les eaux douces abritent un pourcentage disproportionnellement élevé de la biodiversité mondiale. Elles ne couvrent que 1% de la surface de la planète, mais leurs ecosystèmes hébergent près de 7% de l'ensemble des espèces ", précise Jean-Christophe Vié, directeur adjoint du Programme sur les espèces de l'UICN. " Cette étude récente de la Liste rouge UICN montre clairement que les lacs, les cours d'eau et les zones humides ne sont pas à l'abri de la crise d'extinction actuelle ".
Même la perte d'une seule espèce peut avoir des effets catastrophiques sur les moyens d'existence humains. Un groupe de poissons connu localement sous le nom de " chambo " est une source d'alimentation importante au lac Malawi. Considérablement surpêchée, Oreochromis karongae, une espèce menacée appartenant à ce groupe, a vu sa population diminuer de 70% depuis dix ans. Au lac Victoria, le déclin de la qualité de l'eau et l'introduction de la perche du Nil (Lates niloticus) a entraîné une importante réduction des populations de nombre d'espèces endémiques depuis trente ans, mettant en danger la pêche traditionnelle. Ayant évalué 191 espèces de poissons du lac Victoria, cette récente étude a trouvé que 45% sont menacées ou considérées comme éteintes.
Dans la région africaine des grands lacs, le poisson est la principale source de protéines et de revenus pour de nombreuses populations comptant parmi les plus pauvres du continent. Il est estimé qu'en Afrique sub-saharienne, la subsistance de quelque 7,5 millions de personnes dépend de la pêche en eau douce. Cette étude très récente est un outil précieux permettant de sauvegarder la pêche, ainsi que l'approvisionnement en eau douce et les nombreuses ressources connexes.
" L'Afrique abrite une diversité étonnante d'espèces d'eau douce,
dont un grand nombre ne se trouvent nulle part ailleurs ", explique William Darwall, directeur du projet et chef de l'Unité de la biodiversité d'eau douce de l'UICN.
" Si nous n'arrêtons pas la perte de ces espèces, le continent va
perdre irréversiblement de sa biodiversité, mais des millions de
personnes vont perdre aussi une source essentielle de revenus,
d'aliments et de matériaux. "
L'étude permet d'identifier des aires prioritaires pour la survie
d'espèces menacées ou ayant une aire de répartition restreinte. Ainsi,
le lac de cratère Barombi Mbo, au Cameroun, abrite 11 espèces de
poissons très menacées. Leur survie est précaire, car la déforestation
accroît les risques d'" éructation " : d'importantes quantités de
dyoxide de carbone sont libérées des profondeurs du lac, étouffant les
poissons. En l'absence d'interventions de gestion, ces espèces, dont
certaines sont une importante source d'aliments, peuvent disparaître à
jamais.
Les poissons sont bien évidemment importants pour les populations humaines, en tant que source d'aliments et de revenus. Cependant, d'autres espèces d'eau douce, comme les mollusques, les libellules, les crabes et les plantes aquatiques, jouent aussi un rôle essentiel dans le maintien des fonctions des zones humides et il ne faut pas les négliger. Dans les chutes du cours inférieur du Congo, 11 espèces de mollusques, vivant sur une étendue de 100 km, sont très menacées en raison de la pollution en amont. Or, ces mollusques filtrent l'eau et assurent d'autres fonctions importantes.
" Cette nouvelle étude nous permet de sensibiliser les promoteurs et les autorités gouvernementales envisageant des projets d'infrastructures en eaux douces, qui sont encore peu développées dans la plupart des pays africains ", dit Anada Tiéga, Secrétaire général de la Convention de Ramsar. " Jusqu'à présent nous n'avions pas les informations nécessaires sur les espèces et les menaces auxquelles elles sont confrontées, mais, grâce à ces évaluations de la Liste rouge de l'UICN, nous espérons que les décideurs africains feront maintenant les bons choix en vue de l'exploitation durable de leurs ressources en eau, tout en protégeant et valorisant la biodiversité mondiale. "
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