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Le microcrédit : une solution, pas la panacée

   


Par Sonia Eyan, GreenVert

 

En juin 2006, lors de la conférence des Nations Unies sur l'inclusion financière en Afrique, Mme Marie-Pierre Sarr Traore, alors ministre des PME, de l'Entreprenariat féminin et de la Microfinance du Sénégal déclare que:  "Les États Africains doivent mettre en place des systèmes financiers forts de microfinance ouverts à tous pour soutenir le secteur de la micro-entreprise". "L'Afrique ne peut se développer qu'avec l'essor de la micro-entreprise".

Impossible de douter : la microfinance a incontestablement permis d'améliorer la vie d'un grand nombre de pauvres. Et la micro entreprise est une solution aux problèmes de croissance dans les pays en développement. Plus difficile d'affirmer en revanche qu'il existe un lien de cause à effet entre l'obtention d'un microcrédit et la création d'une micro-entreprise.

Une étude menée aux Philippines par l'économiste Esther Duflo, professeur au Massachussets Institute of Technology révèle en effet qu'il n'existe pas à ce jour suffisamment d'éléments quantitatifs démontrant une forte corrélation entre l'accès au microcrédit et la création d'une entreprise. Sur une période d'analyse de dix-huit mois, la chercheuse constate que de nombreux individus ont recours au prêt pour l'achat de biens et de services; sans pour autant faire évoluer leur condition de vie tant au niveau sanitaire, qu'au niveau éducatif. Dans bon nombre de cas, les emprunts ne furent pas utilisés pour créer une micro-entreprise; et n'ont pas permis aux femmes d'accéder à l'indépendance économique. Autre élément : des recherches réalisées au Mexique par L'IRD en collaboration avec le Cirad ont mis en évidence que de nombreux prêts sont utilisés comme crédits à la consommation, pour des dépenses d'éducation, pour des dépenses de santé, ou pour le logement. Il va s'en dire que le microcrédit n'est pas une potion magique capable de transformer Monsieur Tout le Monde en un entrepreneur chevronné. Et c'est bien ainsi car tout le monde n'a pas le talent ni le désir de devenir entrepreneur.

 

 

Une question persiste cependant : Le microcrédit serait-il devenu un simple crédit à la consommation ? Marie-Anne de Villepin, Chargée de Communication au département Microfinance de BNP Paribas nous offre quelques pistes d'éclaircissements :  "A l'origine il y avait le microcrédit, industrialisé par Muhammad Yunus afin d'aider des pauvres à créer leur micro-entreprise. Puis vint la microfinance - comprenant des services comme l'épargne et le microcrédit social - dont le but est la lutte contre la pauvreté à travers l'inclusion financière ; l'accès à la consommation faisant partie de ce défi. Néanmoins, le microcrédit à des fins de consommation est à prendre avec des pincettes car étant dangereux, il requiert une éducation financière de la part du bénéficiaire, un suivi et une connaissance approfondie de l'emprunteur de la part de l'institution de microfinance".

 

Vous l'aurez compris, si les avantages du microcrédit sont plus modestes que certains le supposent, ils sont bels et bien réels. Et si chacun y va de ses conclusions, la grande majorité s'accordent à dire que le microcrédit est un outil indispensable pour les populations défavorisées.

 

La crise financière d'Andhra Pradesh

Le monde de la microfinance indienne est pourtant en proie à des critiques acerbes depuis quelques mois. En octobre 2010, le suicide d'une trentaine de personnes dans l'État d'Andhra Pradesh en Inde - la Silicon Valley de la microfinance indienne - a suscité l'émoi dans le monde de la microfinance; et relancé le débat sur les limites et les dérives du secteur. Pour des raisons diverses, certains bénéficiaires de prêts multiplient les emprunts auprès de différentes IMF. Il suffit que la récolte soit mauvaise ou que les clients se fassent rares pour que des familles entières croulent sous le poids des dettes. Dos au mur, certains préfèrent la mort au déshonneur.

Lucidité ou effet d'aubaine, le gouvernement local a décrété une loi visant à punir sévèrement le 'harcèlement' des agents de crédit envers les emprunteurs.

"Le surendettement est un gros problème. Mais les torts sont à partager entre les prêteurs véreux et les clients pauvres qui auraient dû s'informer sur le piège de souscrire à de multiples prêts ...", souligne Calvin Miller, Responsable de groupe Agribusiness et Finance de la FAO.

Pour décrypter cette agitation politique cristallisée par les médias, rappelons que cette crise émane du dévoiement de certaines institutions financières qui s'enrichissent sur le dos des plus démunis. Pratiquant notamment des taux d'intérêts "usuraires" parfois excessifs. Et imposant aux clients de débuter les remboursements une semaine seulement après l'obtention du prêt. Pour Marie-Anne de Villepin, "si ces suicides nous attristent, il est bon de rappeler que les institutions de microfinance abusives ne représentent qu'une infime minorité des acteurs du secteur. Il est primordial pour le secteur de dénoncer de tels abus et de mettre en place un cadre réglementaire adapté".

La grande majorité des IMF sont dirigées par des entrepreneurs dynamiques qui offrent des services de qualité et pratiquent des taux d'intérêts raisonnables. Vivant par ailleurs dans un monde interconnecté, il sera de plus en plus difficile d'extorquer de l'argent aux clients souligne Stuart Hart. "Les exploiteurs existent depuis toujours. Mais une entreprise qui veut escroquer aujourd'hui aura du mal à survivre à long terme". L'affaire provoque pourtant un tollé chez les politiciens indiens car la crise d'Andhra Pradesh n'est que l'arbre qui cache la forêt; celle d'un business florissant qui vaut son pesant d'or. Il est donc légitime de s'interroger : l'insertion du politique dans la sphère financière affiche-t-elle la volonté de l'État d'avoir la mainmise sur le secteur de la microfinance ? Difficile de répondre. Reste que 'cette crise est avant tout politique' souligne Marie-Anne de Villepin. Alors, comme bon nombre d'institutions financières basées en Inde, BNP Paribas attend patiemment le dénouement de cette affaire ; en espérant que les autorités ne jetteront pas le bébé avec l'eau du bain.

 

Rappelons tout de même qu'aujourd'hui les institutions de microfinance ne couvrent que 5% des besoins financiers. Les politiciens devraient donc prendre garde. À force de tirer ainsi sur la corde, ils pourraient décourager les investisseurs étrangers au grand dam des plus nécessiteux. Une chose est sûre : la crise de la microfinance dans l'Andhra Pradesh sonne comme un avertissement selon Calvin Miller de la FAO. Elle revient comme un boomerang sur 'ceux qui ont claironnés qu'il n'était pas important d'analyser les retours d'investissement sur les prêts de micro-crédit'. Dit autrement, la pauvreté doit être combattue, grâce notamment aux instruments de la microfinance, mais sans faire fi des normes prudentielles qui s'imposent.

 

L'avenir du microcrédit : un pas en arrière ou deux pas en avant ?

Le sacro-saint principe de précaution est primordial dans le monde des finances. L'histoire se charge souvent de nous le rappeler. Mais faut-il remémorer à ceux qui seraient tentés de sombrer dans un pessimisme excessif qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs? Dans son livre intitulé Les modèles de microfinance en Côte d'Ivoire, Constant Soko démontre en effet qu'au-delà de ses failles et de ses limites, la microfinance a permis à bien des ivoiriennes à s'insérer durablement dans la sphère économique.  "Au niveau micro-économique, l'impact des IMF sur les revenus induit ensuite un impact sur la capacité d'épargne et de réinvestissement, générant ainsi une dynamique locale de création et de sécurisation d'emplois...Au niveau macro-économique, les IMF permettent de stimuler la mobilisation de l'épargne locale et d'enraciner l'investissement dans de nouvelles activités économiques".

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