V.I. Oulianov, dit Lénine, l'avait affirmé voici pas loin d'un siècle : " Le communisme, c'est les soviets + l'électricité ". En ce temps-là (1920), l'électricité n'était pas l'énergie la plus répandue dans le monde (y compris capitaliste).
Et, en France, hors des centres urbains, les hommes et femmes de ma génération ont eu des grands-parents qui ne connaissaient encore que les lampes à pétrole (ma grand-mère maternelle, quand elle me demandera, par la suite, d'éteindre l'unique ampoule de sa maison, ne cessera jamais de me dire de la " souffler "...). C'était un problème industriel alors (faire tourner les machines) ; pas un problème d'équipement individuel.
Aujourd'hui, l'accès à l'énergie électrique est une nécessité quotidienne absolue. Y compris dans les foyers les plus modestes. Et les gouvernements africains prennent conscience, enfin, qu'en la matière, les retards d'équipement se sont accumulés compte tenu d'une demande qui explose sous le poids de la démographie certes, mais surtout du niveau d'équipement des ménages. Le problème est continental (pour ne pas dire mondial : la France, elle-même, redoute désormais les hivers rigoureux qui accentuent les risques de rupture d'approvisionnement compte tenu de pointes de consommation exceptionnelles).
Il y a plus de trente ans, aux beaux jours des programmes d'ajustement structurel, de la déréglementation, de la libre concurrence et des privatisations, les gouvernements africains ont été convaincus que, s'ils suivaient les directives du FMI et de la Banque mondiale, " l'intendance suivrait ". La production et la distribution d'énergie électrique sont, partout, une préoccupation économique ; une urgence sociale (pour ne pas dire, parfois, politique : le Sénégal, où les délestages sont appelés " Karim ", en est le meilleur exemple). Mais voilà bien longtemps qu'en la matière aucun projet d'envergure n'a été entrepris en Afrique de l'Ouest (qui souffre, tout à la fois, d'une insuffisance d'équipement et d'une croissance de la demande). La mauvaise santé politique, économique et sociale de l'UEMOA et de la CEDEAO, mais aussi et surtout la crise ivoiro-ivoirienne et l'explosion des prix des produits pétroliers, ont accentué les problèmes du secteur. Autant le dire : l'Afrique est trop souvent dans le... noir ! Et ce qui était imperceptible quand il n'y avait pas d'ascenseurs, de climatiseurs, de réfrigérateurs, de congélateurs, d'ordinateurs, de téléphones cellulaires à recharger, etc. est devenu ingérable aujourd'hui.
Si la situation est toujours difficile dans les centres urbains (y compris les capitales, demandez aux Ouagalais contraints de débourser plus de 250.000 francs CFA pour le raccordement au réseau national dans des lotissements soi-disant viabilisés !), elle est un frein au développement économique et social du monde rural. Le problème, c'est que la rentabilité de l'électrification rurale est très marginale (peu de kWh consommés) et que les opérateurs rechignent à consentir des investissements d'équipement et des dépenses d'entretien dans ces perspectives. A la fin des années 1990, le Burkina Faso a pris conscience du gap électrique auquel le pays était confronté : la Sonabel assurait autant qu'elle le pouvait la satisfaction de la demande urbaine mais, pour le reste (la grande majorité de la population burkinabè) c'était une autre affaire ; une mauvaise affaire.
Les autorités burkinabè sont parties d'un constat simple résultant de la donne imposée par les bailleurs de fonds. L'électrification rurale n'est pas une activité rentable pour la Sonabel, chargée de produire et distribuer l'électricité dans le pays. La notion de service public n'étant plus ce qu'elle était, une entreprise nationale dans le " rouge " se trouve exclue du marché financier. Ses capacités d'emprunt - et donc de développement - sont limitées. Cependant, dans le même temps, le monde rural exprime une demande qui, pour demeurer marginale, est l'expression d'une volonté d'équipement économique et social : production, conservation, facilitation... Pour répondre à ce besoin, il a été créé le Fonds de développement de l'électrification (FDE) chargé de gérer " le segment de l'électrification rurale ". " C'est, a rappelé Marie Blanche Bado, sa directrice générale, lors de l'atelier Initiative de l'électrification de l'Afrique (Dakar - 14-16 novembre 2011), l'organe de facilitation, de financement et de mise en oeuvre de la politique d'électrification rurale au Burkina Faso. Le FDE a la fonction de financement et d'agence de travaux cumulée ". A noter que ses statuts lui font obligation de " promotion de nouvelles technologies d'énergies renouvelables "
M.B. Bado a mené sa carrière essentiellement dans le secteur public industriel. Secrétaire générale du ministère de l'Industrie avant de rejoindre l'inspection d'Etat, elle a été nommée DG du FDE dès sa création le 19 février 2003. Sous tutelle technique du ministère des Mines, des Carrières et de l'Energie, et sous tutelle financière du ministère des Finances, le FDE - qui a débuté son activité en 2004 - a été érigé en Etablissement public de l'Etat (EPE) le 25 mai 2010. Doté de la personnalité morale et de l'autonomie de gestion, employant une vingtaine de personnes, le FDE a démarré ses activités sur financement de la coopération danoise avant d'obtenir les concours de la Banque mondiale, de l'Union européenne... Mais ce qui fait son originalité c'est son " impactage " sur la consommation nationale d'électricité : au-delà du concours des bailleurs de fonds, de la subvention annuelle de l'Etat, le FDE perçoit une taxe de développement de l'électrification (TDE) qui est un prélèvement de 2 francs CFA sur chaque kWh vendu aux consommateurs (taxe versée sur un compte ouvert au Trésor public). Le budget du FDE est actuellement de l'ordre de 1,3 milliard de francs CFA et son action s'inscrit dans le cadre d'un contrat-plan avec l'Etat pour la période 2008-2012.
Les projets d'électrification rurale soutenus par le FDE doivent répondre à des critères de faisabilité technique, économique, financière et " d'ancrage organisationnel local ". Ils peuvent être initiés " soit comme priorité nationale dans le cadre de la planification nationale de l'électrification, soit comme initiatives locales, soit par des opérateurs privés ". Leur sélection se fait sur la base de critères relatifs à " l'équilibre régional basé sur l'indice de pauvreté, la taille de la population, la présence de services administratifs et sociaux et d'infrastructures économiques de base, la proximité d'une ligne électrique ou d'une centrale de production, l'habitat, l'accessibilité, la possibilité d'interconnexion de localités voisines, la situation frontalière ".
Cette évaluation se fait sur une base objective : les projets retenus dans une première phase doivent obtenir un total de 65 points sur 100. Il s'agit, ensuite, d'en faire assurer la faisabilité technique, économique et financière par un bureau d'études indépendant, l'objectif étant de développer, en la matière, un savoir-faire local. Les projets éligibles au financement du FDE sont alors classés par ordre croissant selon le coût économique. L'étape suivante est la sélection des fournisseurs à la suite d'un avis d'appel d'offres et la réalisation des travaux (pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, les groupes sont toujours doublés).
L'intervention du FDE ne s'arrête pas là pour autant. Il lui faut assurer le contrôle de la mise en oeuvre des projets et le suivi de leur gestion. L'objectif, en la matière, est " une forte responsabilisation des populations, leur participation au montage, à la réalisation et à la gestion des systèmes électriques à travers la création de coopératives d'électricité (Coopel) " désormais rassemblées en union nationale.
Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique
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