Longtemps restées confidentielles ou, au contraire, ostentatoires, les actions de solidarité menées par les entreprises françaises se réinventent à la lumière d'initiatives intelligemment structurées. Dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités, les entreprises, comme les salariés, ont une responsabilité, mais aussi une carte à jouer. C'est en ce sens que, sur la base de la concertation et du volontariat, des entreprises parient aujourd'hui sur un potentiel inépuisable: l'engagement de leurs collaborateurs. A condition, toutefois, qu'elles acceptent de mettre (un peu) la main à la poche!
Plus d'excuses!
S'il est une idée fausse répandue du côté des salariés pour justifier, en toute bonne foi, leurs aspirations inassouvies à l'entraide, c'est bien celle de leur rythme de vie. Entre le foyer, les enfants, pour être solidaire à défaut d'avoir les moyens, il faut avoir du temps. Or, ils ignorent souvent que des solutions existent pour réconcilier l'engagement citoyen et les impératifs liés au monde du travail. C'est en tout cas l'équation que résout le mécénat de compétences qui permet à l'entreprise, sur la base du volontariat de ses salariés, d'engager ces derniers dans des actions humanitaires ou associatives. Bien entendu, ce détachement à temps plein ou partiel est ponctionné sur le temps de travail. Pris en charge par l'entreprise (salaires, frais, etc.) pour une durée déterminée, il ouvre droit à une déduction fiscale de 60% des versements à hauteur de 5% du chiffre d'affaires. Le salarié pour sa part, au-delà du sentiment de se rendre utile, y gagne également tant cette expérience enrichit un parcours professionnel et reflète son sens de l'engagement!
Le salarié soupçonne rarement, par ailleurs, combien ses compétences, si spécifiques soient-elles, peuvent être d'une richesse inestimable pour le milieu associatif ou humanitaire. Jean-Louis Petit, collaborateur de du laboratoire Pfizer, témoignait ainsi de son expérience: "Je suis parti six mois au Rwanda avec une ONG pour écrire et mettre en place un plan de marketing social de lutte contre le SIDA visant à assurer la promotion et la vente subventionnées de préservatifs ainsi que l'éducation sanitaire des populations sur cette pathologie. Et de reconnaître, humblement: J'ai dû réapprendre à écouter pour réussir ma mission". Un retour à la réalité et à l'humain, en quelque sorte, que partage en des termes différents Anne-Sophie Proffit, consultante chez Eurogroup: "Le mécénat de compétences témoigne pour nous de la réelle faisabilité de rencontres de deux mondes aux cultures parfois très différentes."
Artillerie lourde
De grandes entreprises, parfois, vont plus loin et décident de mettre à profit une organisation toute entière, une logistique, et des moyens financiers et humains en vue de satisfaire aux exigences de grandes causes. C'est par exemple le chemin entamé par Optic 2000, ce grand groupe présent dans plusieurs pays du monde, dont on ignore souvent l'histoire et la structure coopérative - ceci explique peut-être cela! Ainsi, Yves Guénin, son dirigeant, revendique infatigablement le rôle citoyen de l'entreprise et multiplie les initiatives dans le domaine social ou humanitaire. Très présent en Afrique, et notamment au Burkina Faso, Optic 2000 travaille en étroite collaboration avec l'association Jeremi, ONG à caractère médical intervenant dans les PED. Celle-ci, qui a mis sur pied des "missions ophtalmologie", bénéficie du soutien d'Optic 2000 qui finance l'achat d'équipements ophtalmologiques au profit des hôpitaux, et surtout de l'expertise des opticiens du groupe dépêchés sur place pour procéder à des actions de dépistage de la malvoyance dans les écoles. L'initiative est soutenue en France par les opticiens du réseau, qui collectent chaque année auprès des Français 200 000 lunettes qui équiperont ensuite les plus démunis sur le terrain. Cette mise à contribution du réseau national trouve aussi une application à nos portes: partenaire de l'AFM-Téléthon, Optic 2000 s'est engagée à reverser plus d'un million d'euros à l'organisme, grâce à une contribution prélevée sur la vente de montures fabriquées en France ou la vente d'une "deuxième paire solidaire". Un programme ambitieux et permanent reposant sur la mobilisation de ses collaborateurs qui permet au Téléthon d'être présent toute l'année, partout en France. Yves Guénin, l'un des dirigeants d'Optic 2000, véritable ambassadeur de la citoyenneté économique, ne cesse de vanter les mérites, pour paraphraser le slogan de la marque, de cette " autre vision de la vie " et du rôle des entreprises auprès de ses collègues dirigeants : "toutes mes rencontres avec d'autres dirigeants d'entreprise me permettent d'affirmer que les dirigeants peuvent contribuer à redonner du sens et renouer le lien social."
Le groupe Veolia, pour sa part, s'appuyant sur ses compétences techniques, est allé jusqu'à créer Veolia Force, son équipe de choc appelée à intervenir dans les situations humanitaires d'urgence, en soutien aux ONG. Immédiatement après le séisme qui a frappé Haïti en janvier 2010, Veolia a acheminé plus de vingt tonnes de matériel d'urgence vers les sinistrés dans un cargo affrété par la Croix Rouge. Six jours plus tard, les premiers volontaires de l'entreprise débarquaient à Port-au-Prince. En appui d'Action contre la Faim, ils organisaient l'alimentation en eau potable et mettaient en place des dispositifs d'assainissement. Plus éphémère, mais non moins salutaire: le partenariat de compétences instauré entre AXA Atout Coeur et le Sidaction, qui a permis de mettre au service de l'association 10 plateaux téléphoniques animés par 1300 collaborateurs, en vue de collecter les promesses de dons. Certaines grandes entreprises "sont devenues des quasi-ONG", est ainsi amenée à conclure Octavie Baculard, la fondatrice de Volonteer, cabinet de conseil en mécénat participatif.
L'engagement de proximité aussi
Nul besoin de s'expatrier à l'autre bout du monde pour avoir la fierté de faire des choses bien. Les enjeux de la solidarité se bousculent aussi à notre porte, sans que l'on prenne conscience à titre individuel de son propre potentiel d'action immédiat. Le groupe Adecco, fort de son expertise en valorisation des ressources humaines, a lancé en 2010 un programme d'action articulé autour de trois piliers: "donner les clés de la réussite scolaire, agir pour l'orientation et la découverte professionnelle, et développer l'employabilité des personnes en difficulté". De la sorte, en collaboration avec les associations, les salariés d'Adecco préparent les candidats à l'insertion professionnelle, organisent des présentations de métiers, ou mettent en oeuvre des actions de soutien scolaire, par exemple.
Une autre façon de rompre la perte de sens au travail
Last, but not least, même si c'est accessoire: ces actions permettent à l'entreprise d'inscrire leurs collaborateurs dans la construction de sens autour d'un projet économique. Ainsi, elle renforce la cohésion de ses équipes autour d'un socle de valeurs fortes, et valorise leur sentiment d'appartenance à cette nouvelle forme de capitalisme, qui n'a plus à rougir de sa ligne de conduite. "Ce projet est celui d'une entreprise à qui cela coûte de l'argent, d'une équipe qui a dû faire avec une personne en moins pendant six mois, rappelle Jean-Louis Petit. Bref, ce type d'action donne du sens au discours citoyen de l'entreprise". Le patron d'Optic 2000, Yves Guénin, se projette bien au-delà du simple discours, lui qui milite pour une institutionnalisation de la démarche: "Je plaide pour que soit rédigée une charte d'entreprise de la solidarité qui fixe les voies et moyens, les règles et les droits des actions solidaires des entreprises afin qu'elle soit vraiment au service de tous et non un simple vecteur de communication." A quand, des "départements solidarité" dans l'organigramme des grands groupes?
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