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Pearl GTL, Qatar : retour sur la conception éco-responsable d'un titan du gaz naturel


Pressenti pour alimenter les moteurs du futur, le GTL (Gas to Liquid) devrait occuper une place croissante dans le bouquet énergétique de demain. Ce carburant alternatif produit à partir de gaz naturel, économe et à l'empreinte écologique réduite, remplacera progressivement une partie des carburants traditionnels. Zoom sur un versant méconnu de la transition énergétique, à travers la construction du plus grand ensemble industriel de ce début de siècle. 

Le GTL: une idée qui ne date pas d'hier... 

Certains historiens n'hésitent à lier l'histoire du GTL à celle du contexte européen d'entre-deux guerres: selon eux, la défaite allemande de 1918 est imputable en grande partie au manque de ressources en hydrocarbures. Ainsi, en 1923, Franz Fischer et Hans Tropsh mettent au point une réaction chimique inédite qui permet de transformer le gaz, à l'époque extrait du charbon, en hydrocarbures liquides afin de pallier aux besoins militaires opérationnels. Les première usines allemandes de production furent opérationnelles dès 1937, et seront employées à plein régime par l'armée allemande jusqu'à la fin du conflit. S'ouvrit ensuite une période d'opulence: dans le tumulte économique, les Trente Glorieuses font oublier au monde que le pétrole est une source d'énergie fossile. 

Bien plus tard, en 1982, c'est en Afrique du Sud que le GTL fait un retour en grâce suite à l'embargo imposé au pays en raison de l'apartheid. Naturellement, toutes les grandes compagnies pétrolières braquent les yeux vers ce qui apparaît de plus en plus comme une technologie de substitution dotée du rendement énergétique suffisant pour faire de l'ombre à l'or noir. Il faut attendre 1998 pour que soit organisée la première conférence internationale consacrée à cet hydrocarbure du XXIème siècle. Les grands pétroliers s'engouffrent dans la recherche appliquée, et les motoristes leur emboîtent le pas. De cette coopération naîtront des projets certes modestes, mais précurseurs du carburant "à combustion propre". 

En 2009, deux signaux forts sont émis par le secteur de l'aviation. Le premier émane de l'ASTM, l'organisme de normalisation internationale, à travers la publication des "spécifications des nouveaux carburants de synthèse à destination des moteurs d'avion" (1). Dès lors, sont autorisés les carburéacteurs contenant jusqu'à 50% de GTL spécifique à l'aviation civile (GTL Jet Fuel). Ce "kérosène GTL" est d'ailleurs l'un des cinq types de GTL produits par le complexe Pearl GTL au Qatar. Deuxième signal fort: Qatar Airways réalise, dans la nuit du 12 octobre, le premier vol commercial propulsé au gaz naturel entre Londres et Doha. Historique, il couronne de succès une coopération scientifique de deux ans entre Airbus, Qatar Airways, Qatar Petroleum, Qatar Science & Technology Park, Rolls-Royce, Shell et WOQOD.  

Dream team 

Parmi les acteurs précités, deux d'entre eux tiennent la dragée haute à l'industrie pétrochimique: c'est en effet grâce à un accord de partage de production scellé entre Shell et Qatar Petroleum -la compagnie pétrolière nationale du Qatar-, que le projet colossal voit le jour sous les meilleurs auspices. L'Emir Al-Thani, dirigeant visionnaire du pays, a nommé Abdullah Bin Hamad Al-Attiyah comme dirigeant de Qatar Petroleum et Vice-Premier Ministre en charge de l'énergie et de l'industrie, qui perçoit dans le gaz naturel une condition de la pérennité de l'économie de l'Emirat, dont l'incroyable mutation n'aura échappé à personne. Déjà en 2006, le Qatar était le premier exportateur de gaz naturel liquéfié. 

Aujourd'hui, l'Emirat dispose des troisièmes réserves de gaz au monde juste après la Russie et l'Iran, c'est une chose. Mais leur exploitation dans les meilleures conditions techniques, économiques et environnementales nécessite de mobiliser des savoir-faire spécifiques à un point tel, qu'il devient impératif de solliciter les champions de l'ingénierie industrielle, où qu'ils se trouvent. 

Le projet Pearl GTL a donc donné naissance à un consortium international rassemblant, autour de North Field, le plus grand gisement de gaz du monde, quelques-uns des opérateurs les plus avancés technologiquement. Et cela, à la plus grande satisfaction des Emirs qui de la sorte, affirment leur leadership sectoriel tout en se félicitant d'une empreinte écologique réduite à son plus strict minimum. Par exemple, un processus de séparation innovant supprime du gaz les contaminants tels que le soufre, et celui-ci n'est pas rejeté dans l'environnement: il est transformé sur place en granules, avant d'être expédié sur le marché. En effet, le soufre est connu depuis la Grèce Antique pour ses propriétés purificatrices naturelles en agriculture. 

Pearl GTL, une brochette de superlatifs 

Qatar Airways attend de Pearl GTL la production d'au moins un million de tonnes de GTL Jet Fuel par an, soit assez de carburant pour permettre à une compagnie aérienne de parcourir... 500 millions de kilomètres, équivalent à 4000 tours du monde! Au total, Shell entrevoit la production de 3 milliards de barils d'équivalent-pétrole tout au long du cycle de vie de Pearl GTL. Pour ceux qui doutent encore de la dimension titanesque du complexe industriel, voici quelques chiffres: à son apogée, ce projet a mobilisé quelques 52000 travailleurs de plus de 50 nations différentes, et a nécessité 77 millions d'heures de travail. Pas moins de 2000 étapes composent la préparation des systèmes GTL pour la production. Et Pearl produira chaque année assez d'huile synthétique  pour fabriquer le lubrifiant de 225 millions de voitures. Shell s'est aussi doté de la plus grande unité de production d'oxygène du monde, capable de générer 28800 tonnes d'oxygène à -180°C par jour. Dernière considération, et non des moindres: Pearl GTL est également réputé, à ce jour, être le complexe industriel du secteur de l'énergie le plus économe en eau. 

Les hautes technologies au chevet du désert... 

Au Qatar, l'eau est rare. Très rare. Il y tombe en moyenne 80mm de pluie par an. Pas de quoi rafraîchir le fond de l'air dont la température dépasse allégrement les 40°C en été. De ce fait, le Qatar déploie des efforts monumentaux pour préserver ses faibles ressources aquifères et récupérer l'eau par tous les moyens possibles. Mais l'exploitation d'hydrocarbures est singulièrement gourmande en eau. Dans un tel contexte, il fallait que Pearl GTL soit conçu pour être auto-suffisant en eau. C'est la prouesse qu'est parvenu à réaliser le Français Veolia, leader mondial historique de la gestion du cycle de vie de l'eau. Du haut de ses 160 ans d'expérience, l'opérateur a relevé l'un des défis majeurs de son existence: doter Pearl GTL d'une installation "zéro rejet liquide" (ou ZLD) apte à traiter les effluents provenant de la production de GTL, mais aussi l'ensemble des eaux usées de l'usine dont on compare la taille à celle d'une grande ville. Tout est recyclé sur place: l'unité de traitement des effluents est capable de gérer douze effluents différents pour les transformer en cinq qualités différentes d'eau recyclée. De cette manière, le dispositif de Veolia Water réintègre chaque goutte d'eau au procédé de production. Pearl ne rejette pas le moindre centilitre dans la nature: 45000 m3 d'eau sont ainsi économisés chaque jour. Les technologies inédites employées par Veolia Water au Qatar - l'Osmose Inverse et l'ultrafiltration - ne rejettent que... des cristaux de sel! 

On le voit bien, l'exploitation du GTL n'est pas sans soulever certaines contraintes écologiques et sans susciter certains débats sur les modalités de son extraction. Mais la conception de Pearl GTL démontre également que la transition énergétique peut se dérouler proprement, à la seule condition qu'on y alloue des moyens suffisants. C'est ce qui explique peut-être qu'une unité de production GTL coûte deux à trois fois plus cher qu'une raffinerie. Peu d'étonnement, donc, si c'est au Qatar que le plus grand et le plus propre des complexes d'exploitation vient de voir le jour. 

(1) Une norme pour le kérosène de synthèse, Shell - ASTM, Energo

 

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