Depuis 1800, environ le tiers des émissions de CO2 dues aux activités humaines ont été absorbées par les océans (ce qui équivaut chaque année à 1 tonne de CO2
par personne). Cette absorption entraîne une acidification des océans
qui a été pendant quatre ans l'objet d'étude du projet EPOCA (European
Project on Ocean Acidification). Lancé en 2008 et coordonné par
Jean-Pierre Gattuso, chercheur CNRS au LOV, EPOCA a rassemblé plus de
160 chercheurs de 32 institutions européennes. L'une des expériences
phare d'EPOCA s'est déroulée dans l'océan Arctique en 2010 durant cinq
semaines. Pourquoi l'Arctique ? En raison de la basse température de ses
eaux, cet océan absorbe davantage de CO2 que les autres.
L'acidification y est donc plus rapide que dans les régions tempérées et
tropicales. De plus, il était important de réaliser cette expérience in
situ afin de bien prendre en compte les liens existants entre les
organismes au niveau d'une communauté (compétition, prédation...) et de
confronter ces résultats à ceux des études menées en laboratoire.
Fin
mai 2010, l'équipe internationale chargée de cette expérience,
constituée de 35 chercheurs et pilotée par Ulf Riebesell de l'institut
allemand GEOMAR, a commencé par déployer neuf mésocosmes, sortes de
tubes à essai flottants, dans le baie du Roi au large de Ny-Ålesund, à
l'ouest du Spitzberg. Ces mésocosmes étaient formés d'immenses sacs en
plastique de 50 m3 maintenus par des structures de 8 mètres
de haut. Ils ont permis d'emprisonner l'ensemble du plancton présent
dans le fjord. Dans sept de ces sacs, la concentration de CO2
a été graduellement augmentée pour atteindre le niveau attendu dans 20,
40, 60, 80 et 100 ans. Les deux autres sacs, les " sacs contrôle ",
représentaient les conditions naturelles sans modification. Chaque jour,
une cinquantaine de paramètres chimiques et biologiques a été mesurée
et des échantillons ont été prélevés régulièrement pour être ensuite
analysés au laboratoire.
Principal résultat : le plancton de
petite taille, le pico- et le nanoplancton2,
croit plus vite et produit plus de carbone organique lorsque la teneur
en CO2 est élevée. Or, si ce minuscule plancton se développe
de manière importante, il consomme les sels nutritifs (comme l'azote)
habituellement disponibles pour les espèces de plus grande taille. La
croissance de ce tout petit plancton, base de la chaîne alimentaire, se
fait donc aux dépens des diatomées, du phytoplancton de plus grande
taille qui fait partie du microplancton. Cette expérience a été trop
courte pour déterminer si ce phénomène a un impact sur la nutrition du
zooplancton, qui se nourrit de plancton d'origine végétale.
En
outre, les écosystèmes dominés par du pico- et du nanoplancton
transfèrent moins de carbone dans l'océan profond. Ce phénomène pourrait
donc réduire l'absorption de CO2 par les océans. Un autre
processus contribuant à la régulation du climat pourrait également être
affecté : la production de sulfure de diméthyle (DMS). Émis par le
phytoplancton, ce gaz favorise la formation de nuages au-dessus des
océans. En situation de concentration en CO2 élevée, les
chercheurs ont observé une production moindre de DMS, ce qui
entrainerait une augmentation de la quantité de rayonnement solaire
atteignant la Terre et renforcerait ainsi l'effet de serre. Outre la
chaîne alimentaire marine, l'acidification des océans affecterait ainsi
des processus jouant un rôle important dans le système climatique.