Du fait de l'isolement provoqué par le courant circum-polaire, l'océan austral qui entoure le continent Antarctique est connu pour abriter de nombreuses espèces endémiques. L'émergence de cette biodiversité marine australe semblerait bien obéir, dans des groupes aussi divers que les poissons téléostéens, les crustacés, voire les échinodermes, à une modalité d'évolution biologique particulière décrite dans les années 1980, celle des "bouquets" d'espèces (species flock en anglais): évolution rapide, dans un endroit délimité, de multiples espèces apparentées qui colonisent une palette de niches écologiques diverses.
De tels species flocks sont bien documentés dans les lacs et les îles: poissons cichlidés des grands lacs africains, poissons cottidés du lac Baïkal, mouches drosophiles des îles du Pacifique... mais ils étaient tenus pour exceptionnels en milieu marin et seulement deux cas avaient été détectés jusqu'à aujourd'hui.
Dans cette étude, les chercheurs ont formalisé la détection des "bouquets" d'espèces en hiérarchisant leurs critères d'identification et en distinguant critères historiques (endémisme, monophylie, richesse spécifique) de critères écologiques (diversité écologique et prédominance dans l'habitat). En appliquant cette démarche aux inventaires faunistiques acquis au cours de plusieurs missions océanographiques internationales, l'étude publiée dans
PLoS ONE vient ajouter neuf cas supplémentaires avérés de "bouquets" d'espèces marines, tous apparus sur le plateau continental antarctique ! Huit "bouquets" supplémentaires pourraient même être ajoutés mais ils doivent encore être testés plus avant du point de vue écologique.
Cette étude remet en cause la prétendue rareté des "bouquets" d'espèces marines. Mais est-ce dû à des circonstances régionales ? La réponse pourrait bien être oui, l'hypothèse avancée étant que le plateau continental antarctique aurait agi comme un générateur de "bouquets" d'espèces. En effet, ce plateau est isolé des autres marges continentales du fait de son éloignement, du froid qui y règne et de la qualité particulière de l'eau marine de l'océan austral, plus dense, plus oxygénée et moins salée. Cet isolement relatif, mais à grande échelle, aurait favorisé l'évolution locale des organismes qui habitent le fond. Et ce sont certainement les successions des phases glaciaires-interglaciaires qui, provoquant la libération récurrentes de niches, ont été propices à l'émergence de ces nombreux "bouquets" d'espèces faisant d'un océan glacé un lieu de riche biodiversité.